Je ne pouvais pas passer à Barcelone et ne pas aller jeter un œil à Aqualeon, safari situé à Albinyana, à environ 80 kilomètres au sud de la ville. Au courant des derniers mois, j'ai en effet entendu parler de plus en plus de cet établissement et ai eu vent de rumeurs à propos d'un groupe de rares cobes noirs. J'ai donc pris rendez-vous avec Dr Jordi Aguiló Gisbert, le vétérinaire d'Aqualeon, qui gère également la collection animale de l'établissement.
Aqualeon a été créé par un riche investisseur américain au courant des années 1970, à une période où les parcs visitables en voiture fleurissaient en Europe. Il était alors appelé Rio Léon Safari Park et c'est souvent ce nom qui est retrouvé dans les rares sources historiques qui mentionnent cet établissement. Du fait de la proximité de la côte et de la grande ville de Barcelone, de l'engouement d'alors pour ce type de parcs et de la zone d'implantation très touristique, Aqualeon connut une période faste. Les visiteurs affluaient et la collection animale était très diversifiée ! Selon plusieurs sources qui se recoupent, l'orque Ulises, qui vécut au Parc Zoològic de Barcelona de 1983 à 1994, aurait même été présenté de 1980, date de sa capture, jusqu'à son transfert à Barcelone au Rio Léon Safari Park, preuve incontestable de sa richesse d'alors !
A la fin des années 1980, probablement suite à un ralentissement du succès autrefois rencontré, l'investisseur initial, toujours à la tête de l'établissement, disparut dans la nature, laissant sur place animaux et employés... Face à cette situation de crise, les autorités locales prirent en charge le parc. Aqualeon fut revendu en 1992 au groupe Aspro, d'ailleurs déjà propriétaire de L'Aquàrium de Barcelona et d'autres parcs de loisirs de la région. Celui-ci développa surtout le parc aquatique, qui représente aujourd'hui l'activité majeure d'Aqualeon, sans effectuer d'investissements importants dans la partie zoologique. La plupart des animaux appartiennent d'ailleurs toujours aux autorités locales, qui les ont simplement en dépôt à Albinyana. Aqualeon attire actuellement environ 150 000 visiteurs par an et est aménagé sur une superficie d'une cinquantaine d'hectares, dont une grande part est inexploitée.
Je découvre donc ce matin-là un safari plutôt en perte de vitesse, avec de nombreux enclos abandonnés et bâtiments désaffectés. Dr Jordi Aguiló Gisbert et son équipe d'une dizaine de soigneurs tentent de gérer au mieux la collection animale, mais c'est loin d'être facile parce qu'un grand nombre des individus n'appartiennent pas à Aspro et que la position du groupe quant au développement futur du safari n'a pas été clarifiée. L'enclos principal du safari, d'une superficie de près de cinq hectares, n'est plus qu'habité par des bœufs watussis et un groupe de lamas. L'ancien bâtiment des girafes se trouve encore sur la droite, preuve qu'une bien plus grande diversité d'herbivores devait autrefois occuper ces lieux. L'enclos des éléphants, situé sur la gauche, est lui aussi inoccupé depuis le départ de la dernière éléphante pour Barcelone en juin 2009. En 2008, il était encore possible d'observer deux éléphants d'Afrique ici, mais, suite au décès de l'une de ces éléphantes en septembre 2008, il a été décidé de trouver une solution rapide, d'autant plus qu'une autre éléphante africaine vivait seule au Zoo de Barcelone depuis la mort de sa compagne en février 2008. A la disparation du propriétaire à la fin des années 1980, certains animaux, comme les éléphants africains et les rhinocéros blancs présents, avaient été saisis par les autorités CITES, ce qui a facilité aujourd'hui le transfert vers Barcelone pour regrouper les deux éléphantes.
Une autre anecdote concerne les rhinocéros blancs d'Aqualeon. Comme tout bon safari de cette époque et suite aux nombreuses importations de cette espèce dans les années 1970, le Rio Léon Safari Park présentait au public plusieurs individus. Malheureusement, ceux-ci ne sont pas évoqués dans l'ouvrage « The Rhinoceros in Captivity », publié par L.C. Rookmaaker en 1998, pourtant si complet sur le sujet. Les choses deviennent vraiment intéressantes lorsque Dr Jordi Aguiló Gisbert m'affirma que cette espèce avait même été reproduite ici avec succès dans le passé ! Une carte postale que je possède dans ma collection personnelle depuis septembre 2002 semble confirmer cette information. On y observe, en effet, un couple de rhinocéros blancs accompagné d'un jeune animal ; la carte a voyagé en août 1985. Après discussion avec le coordinateur de l'EEP de cette espèce, il s'avère que la naissance a eu lieu en 1991, un jeune mâle nommé Cirilo. Il s'agissait de la première naissance de rhinocéros blanc en Espagne (suivie d'autres naissances à partir de 1999 à Cabárceno et d'une première insémination artificielle réussie à Madrid en 2009). Les derniers rhinocéros d'Aqualeon, alors un mâle et deux femelles, appartenant aux autorités CITES depuis leur saisie au début des années 1990, ont finalement été transférés au Zoo de Barcelone en 2003. Cirilo vit aujourd'hui au nouveau Bioparc Valencia (Espagne).
Le second enclos du safari d'Aqualeon me permet de découvrir enfin cet énigmatique groupe de cobes noirs (Kobus leche smithemani). Cette magnifique sous-espèce de cobe lechwe est originaire du bassin du Bangweulu en Zambie, où vit actuellement une population estimée à 30 000 animaux. Le groupe maintenu à Aqualeon est le seul connu en captivité et a attiré l'attention de la communauté internationale des parcs zoologiques depuis quelques années déjà. Ils appartiennent toujours intégralement aux autorités locales et la gestion quotidienne des animaux par l'équipe d'Aspro est donc loin d'être facile. Les 80 individus que j'ai comptés ce jour-là sont tous maintenus ensemble dans un enclos unique, qui ne dispose pas de système d'isolement ou même d'abris fermés ; cela rendrait difficile tout transport d'une partie ou de la totalité du groupe. Aucun animal n'est marqué individuellement et la parenté de la dizaine de rejetons qu'engendre le groupe chaque année n'est pas connue. De plus, il est fort probable que les fondateurs de ce groupe ne proviennent que d'un import unique, effectué dans les années 1970/1980. Enfin, une éventuelle hybridation avec d'autres sous-espèces de cobe lechwe serait à vérifier, d'autant plus qu'un autre groupe de Kobus leche est présenté dans un enclos voisin.
Face au coût engendré par le maintien d'un tel groupe d'animaux, les autorités locales ont organisé à l'automne 2008 une vente aux enchères des nombreux herbivores et autres animaux qui leur appartenaient encore. Aucun acheteur sérieux ne s'est manifesté et les animaux sont donc toujours à Albinyana. Le plus surprenant reste qu'Aspro ne soit pas intéressé par l'acquisition du lot complet pour permettre le développement et une meilleure gestion du safari... la situation semble s'enliser depuis plusieurs années, mais pourrait être débloquée par un achat d'un conglomérat de parcs zoologiques ou même d'une institution internationale. Quoi qu'il en soit, si la consanguinité s'avérait, après étude, assez réduite et qu'aucune hybridation ne puisse être repérée, ce groupe serait d'un intérêt notable pour débuter un programme d'élevage, d'autant plus que le Kobus leche est déjà géré sous ESB.
Un autre enclos du safari est le lieu de vie d'un groupe de zèbres de plaine (Equus quagga), présentés comme appartenant à la sous-espèce antiquorum, mais ressemblant bien plus à des chapmani, au final probablement des hybrides. Un important groupe de cobes lechwes (Kobus leche) vit dans un des anciens enclos des rhinocéros ; là-aussi, j'ai compté près de 70 individus, un des plus grands groupes maintenus en captivité.
Après ce rapide safari, nous accédons au parc visitable à pieds. Celui-ci est majoritairement concentré autour du parc aquatique, où s'accumulent toboggans et piscines diverses et qui reste l'attraction majeure d'Aqualeon. Néanmoins, un petit parc zoologique y est également inclus. Dès l'entrée, je retrouve l'aspect animalier avec quelques amazones utilisés pour photographier les visiteurs... une pratique heureusement même inappréciée par le vétérinaire, mais qui est si courante dans la majorité des parcs du sud de l'Europe. La partie zoologique visitable à pieds est relativement réduite avec quelques enclos pour chiens de prairie à queue noire (Cynomys ludovicianus), suricates (Suricata suricatta), ratons laveurs (Procyon lotor), un petit vivarium avec cinq sombres terrariums, deux vervets (Chlorocebus aethiops) en cohabitation avec un macaque crabier (Macaca fascicularis) obèse, un groupe de capucins bruns (Cebus apella), quelques chèvres et poneys...
Les deux derniers chimpanzés ont, quant à eux, été envoyés dans un centre de récupération, situé près de Madrid, et leur ancienne installation est aujourd'hui vide. Un spectacle de perroquets et un autre de rapaces sont également proposés aux visiteurs. Lors de ma visite, j'ai pu observer dans les coulisses une quinzaine de rapaces d'une dizaine d'espèces, dont une superbe chouette leptogramme (Strix leptogrammica). Deux jeunes jaguars noirs (Panthera onca) vivent non loin de là dans une cage circulaire.
Le safari des carnivores, situé dans la continuité de celui des herbivores et autrefois inclus dans celui-ci, n'est aujourd'hui plus visitable qu'à bord de bus zébrés d'Aqualeon. Il englobe quatre enclos principaux, de grande superficie et vallonnés, où vivent deux groupes de lions (Panthera leo), totalisant 22 individus, six tigres de Sibérie (Panthera tigris altaica) et six ours bruns (Ursus arctos). Deux tigres, prétendument du Bengale, mais plus probablement hybrides, vivent dans un enclos secondaire, construit à leur intention.
Le futur de la partie zoologique d'Aqualeon semble d'une certaine manière bien compromis, au vu du peu d'investissements, financiers et créatifs, réalisés par le groupe Aspro. Néanmoins, l'équipe en place tente de gérer au mieux la collection animale, dans la situation si particulière qui est la leur actuellement. L'avenir de ce groupe de cobes noirs, animaux impressionnants par leur pelage si sombre, reste aussi aujourd'hui incertain.