Pourquoi les animaux tournent en rond dans les zoos ?

Pourquoi les animaux tournent en rond dans les zoos ?

Messagepar furylion » Samedi 04 Juin 2022 14:08

Post Facebook de la page Antenne Zoologie.
POURQUOI LES ANIMAUX TOURNENT EN ROND DANS LES ZOOS ?
Il y a quelques semaines, le Zoo d'Amnéville en Moselle s’est trouvé médiatiquement pointé du doigt par des associations anti-captivité dénonçant, à l’aide de vidéos filmées sur place, un “ennui profond” chez les animaux tournant en rond.
Par l’intermédiaire de son vétérinaire, le Zoo a répondu par voie de presse à ces accusations dans Lorraine Actu, expliquant que les images rapportées n’étaient pas forcément la preuve de mauvaises conditions de vie : https://actu.fr/grand-est/amneville_57019/mort-d-une-girafe-ennui-profond-des-animaux-dans-la-tourmente-le-zoo-d-amneville-repond_50642140.html
Les animaux qui tournent en rond font depuis toujours partie des sujets problématiques des parcs zoologiques. A l’époque des ménageries anciennes, cette attitude faisait même partie du décor. Tigre qui va et vient le long des grilles, ours qui se secoue la tête dans sa fosse...
Les zoos ont grandement évolué depuis, le béton et les grilles ont laissé place aux espaces ouverts, entourés par des fossés ou des vitres. Pourtant, encore aujourd’hui, l’on peut voir dans certains zoos des animaux effectuer toujours les mêmes gestes, qui donnent l’impression d’une profonde neurasthénie. En voyant ces allers-retours, on ne peut que ressentir la violence de l’enfermement. “Tourner comme un lion en cage” est bien une expression populaire.
Mais qu’en est-il réellement ? Au-delà de notre interprétation humaine, peut-être anthropomorphique, que dit la science et notre connaissance actuelle des animaux ? Un animal qui tourne en rond vit-il forcément mal sa condition ? Et si non, pourquoi cette attitude ?
L’étude du comportement animal s’appelle l’éthologie. Cette science, dont les bases ont été posées il y a presque cent ans, est l’objet en France de longues études, du master jusqu’au doctorat. Sa maîtrise nécessite des années de pratique, d’apprentissages et parfois de certaines déconstructions sur nos idées préconçues envers les animaux.
L’auteur de cet article n’étant pas spécialiste en éthologie, nous avons sollicité des personnes compétentes pour nous éclairer au sujet de la polémique du zoo d’Amnéville, c’est-à-dire des éthologues diplômés (master ou doctorat). Nous avons également fait des recherches et lu des articles publiés dans la presse scientifique, relus et validés par des spécialistes.
Pour commencer, qu'est-ce qu'un comportement ?
Un comportement est, normalement, une dépense énergétique utile, avec un but précis, qui a un début et une fin, et qui varie en fonction du but pour lequel il existe.
Comportement de fuite, de prédation, de parade amoureuse... Entrent dans cette définition.
Tourner en rond, faire des va-et-vient, répéter sans cesse le même geste, cela rentre dans la catégorie des comportements répétitifs anormaux, plus précisément des stéréotypies.
Dans ce cas, il y a répétition d’un comportement invariant, incessant et sans but apparent.
Comment apparaissent les comportements de stéréotypie ?
Un comportement est une réponse à une situation, à une stimulation extérieure.
L’animal (humain inclus) reçoit parfois du monde extérieur des informations créant chez lui du stress, de la peur ou de l’excitation. La réponse “normale” pourrait en être la fuite, l’énervement, l’affrontement... Mais parfois, selon les conditions, cette réponse n’est pas possible.
Dans ce cas, l’animal cherche un autre moyen d’expulser sa frustration ou de soulager son excitation.
C’est là qu’apparaît la stéréotypie : c’est le résultat de la combinaison d’un facteur de mal-être, un inconfort ou une stimulation, avec l’impossibilité d’y répondre par un comportement “normal”.
C’est un problème comportemental complexe, qui peut apparaître dans des circonstances variées, et pour des raisons diverses : stress lié à un espace de vie inadapté, à du bruit, à une mauvaise alimentation, à des sollicitations hormonales durant la saison de reproduction, à des odeurs...
Comment faire partir une stéréotypie ?
Là est toute la clé de compréhension du problème : une fois que la stéréotypie s’installe, il se peut qu’elle reste longtemps. Qu’elle devienne une habitude prise par l’animal, et qui reste présente même longtemps après la disparition du problème originel.
Une fois prises, ces habitudes comportementales peuvent s’apparenter aux TOC chez les humains : des attitudes compulsives que l’on effectue sans but apparent. Et comme pour les TOC, ils peuvent persister très longtemps et être très durs à faire partir.
Observer un animal en train de tourner en rond ne fait pas du bien, on y projette immédiatement une situation de mal-être. Pour autant, la raison peut être bien plus ancienne, et le mal-être peut même avoir disparu depuis longtemps alors que l’animal continue à pratiquer ce comportement.
Nous le voyons aussi chez l’humain : quelqu’un qui s’est fait cambrioler une fois lorsqu’il avait oublié de fermer sa porte attrapera peut-être le TOC de toujours vérifier dix fois derrière lui si la porte est fermée. D’un choc est née une habitude, plus vraiment logique, mais quelque part rassurante.
Se ronger les ongles, se gratter, se mordre la lèvre, même fumer... sont des gestes qui nous apaisent lors d’une situation conflictuelle, et que l’on peut garder à vie par habitude.
La stéréotypie fait-elle du mal à l’animal ?
Une stéréotypie est toujours la conséquence de quelque chose, elle est beaucoup plus un symptôme qu’une cause de mal-être. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, elle peut même faire du bien. Vouloir la faire disparaître, simplement pour se dédouaner de la culpabilité de voir ce comportement, mais sans chercher les racines du problème, peut faire plus de mal qu’autre chose car cela priverait l’animal de sa façon d’expulser son stress.
Si l’animal a pris l’habitude de ce comportement, c’est qu’il y trouve un intérêt, et que cela active ses circuits de la récompense : le geste le soulage, le rassure.
Les enfants autistes qui se balancent lorsqu’ils sont en situation inconfortable font de la peine à voir, mais essayer de les empêcher de se balancer leur ferait encore plus de mal.
Il en est de même pour la stéréotypie. Il est possible de la diminuer voire de la faire disparaître dans certains cas selon son origine et son contexte. Mais pas forcément.
Un animal qui a faim et sent arriver l’heure de manger peut tourner en rond par excitation : nos animaux domestiques font de même avant l’heure de la gamelle ou de la promenade. Un vieil animal peut stéréotyper par fatigue nerveuse, sans que cela soit solutionnable.
Le cas de l’ours polaire filmé à Amnéville est révélateur : cet animal venait alors d’arriver au zoo depuis quelques semaines. Un tel comportement peut donc très bien venir d’un traumatisme passé dans son ancien zoo, comme être le témoin d’un stress compréhensible à la découverte d’un tout nouvel environnement. Alexis Maillot, vétérinaire du zoo, a expliqué dans Lorraine actu que l’ours était effectivement arrivé avec une stéréotypie déjà présente, et que l’équipe du zoo faisait tout son possible pour résoudre ce problème.
Car évidemment, un comportement stéréotypé n’est pas non plus anodin et encore moins une bonne nouvelle. Mais il faut du temps pour le faire disparaître et il peut parfois réapparaître sans prévenir.
Une conclusion simple s’impose alors : il est impossible, pour qui que ce soit d’honnête, de conclure à de mauvaise conditions de vie en voyant pendant quelques instants un animal tourner en rond, sans connaître son contexte de vie passé. Or, les deux vidéos diffusées par l'association PAZ au Zoo d’Amnéville durent 17 secondes pour le lynx et 5 secondes pour l’ours polaire.
Dans l’article de Lorraine Actu, la cofondatrice de PAZ-Zoopolis déclare "on voit très clairement que ces animaux sont atteints de stéréotypies, des troubles du comportement qu’on ne voit que chez les animaux vivant en captivité. Ils répètent les mêmes mouvements, font des allers et retours. Ce qui est un marqueur très fort d’un ennui profond”.
Ce n'est clairement pas le résultat de notre étude, et nous serions curieux de savoir si cette affirmation se base sur des connaissances zoologiques précises.
A propos de cette affirmation : on ne verrait la stéréotypie qu’en captivité, les animaux sauvages, libres en seraient par essence exempts. La réalité des connaissances actuelles en éthologie est beaucoup moins évidente. Certains comportements observés dans la nature y ressemblent : ils peuvent être répétitifs, se produire par habitude une fois la raison initiale disparue et avoir lieu sans but apparent. Les animaux sauvages ont aussi leurs réponses aux stimulations et sources de stress externes. Griffer intensément un arbre, creuser le sol sans but apparent, bondir sur place...
Sont des façons naturelles d’expulser un comportement.
Au-delà de la présence ou non de stéréotypie dans la nature, rappelons que le milieu naturel est un environnement rempli de stress, de dangers, d’excitations et de perturbations pour l’animal. Pas du tout un lieu assurant un bien-être permanent. Mais la question ne se pose pas, car c’est la place naturelle de l’animal, qui y est propre responsable de son état émotionnel.
Nous avons contacté à plusieurs reprises les associations et personnes qui militent activement contre les zoos. Nous n’avons jamais eu de retours positifs pour une vraie discussion et un débat serein, malgré nos invitations. Nous regrettons de voir que la plupart des profils concernés semblent n’avoir que très peu de connaissances précises sur le monde animal et sur la biologie.
PAZ, association fondée en 2017, a été créée par Amandine Sanvisens, diplômée d’un master de marketing à Paris et par Philippe Reigné, agrégé des facultés de droit, professeur titulaire de la chaire de droit des affaires au CNAM et spécialiste en droit des sociétés, droit boursier, droit des financements et des sûretés, règlement des différends, gestion patrimoniale et fiscalité.
Code Animal, fondée en 2001, a été reprise par Alexandra Morette en 2018, dont le parcours, d’après les interviews publics où elle en parle, a été lié au monde anglophone et aux questions sur la traite des esclaves, le féminisme et les combats des humains contre les discriminations.
Nous avons à deux reprises répondu à des accusations de Code Animal sur la captivité, pour relever les erreurs et approximations scientifiques de leurs publications sur les guépards et les ours polaires.
Depuis, nous sommes bloqués sur la page de Code Animal et ne pouvons plus réagir en commentaires à leurs posts plus récents, comportant toujours des erreurs et des méconnaissances sur le monde animal.
Les accusations de mal-être au zoo d’Amnéville ont été relayées par Jeremy Bellet, comédien et mannequin, que nous avons contacté sans réponses. Vous verrez en images le message que nous lui avons envoyé.
Le sujet du bien-être animal est sociétal, dans l’air du temps et toutes les préoccupations sont normales, légitimes et preuve de l’extension de notre empathie. Tout le monde est légitime à être sensible aux questions animales, mais comprenons que tout le monde n’a pas les mêmes compétences pour en parler.
Il nous paraîtrait vraiment bénéfique pour les animaux, pour les combats d'amélioration du bien-être animal et pour initier un profond changement de notre comportement global envers les animaux, que les associations qui se présentent comme spécialistes du sujet comportent des professionnels en sciences comportementales et se basent sur les connaissances scientifiques plutôt que sur l'émotionnel pour proposer des recommandations et des changements.
La diffusion des vidéos de stéréotypies a été enrobée d’une communication remerciant les “lanceurs d’alerte” ayant filmé les animaux. N’oublions pas que les zoos sont pour la plupart ouverts au public tous les jours de l’année, et désormais visibles et filmables par n’importe qui. Ils savent très bien la “mauvaise pub” que peut leur faire un animal qui tourne en rond. S’il ne tenait qu’aux vétérinaires, soigneurs et directeurs de zoo, il est évident que la stéréotypie disparaîtrait d’un coup de baguette magique.
D’ailleurs, fin mars 2022, Thomas Grangeat, responsable pédagogie & conservation au zoo d’Amnéville et diplômé d’un master en éthologie, a présenté lors du colloque annuel de l’Association Francophone des Soigneurs animaliers une conférence intitulée “Approche éthologique de la stéréotypie, analyse et prévoyance”.
En ce moment, l'Association Européenne des Zoos et Aquariums (EAZA - the European Association of Zoos and Aquaria) se réunit aux Pays-Bas pour un colloque international sur le bien-être animal, où interviennent des experts de terrain du monde entier.
On peut difficilement parler de “lanceurs d’alerte” sur un sujet sur lequel le monde des zoos travaille, avec des études, des universitaires et des spécialistes depuis des années, et sur un sujet que n’importe quelle personne peut aller constater.
Attaquer et discréditer publiquement un établissement sans chercher à comprendre le contexte est scientifiquement et intellectuellement malhonnête, et risque simplement de voir les animaux problématiques relégués à des enclos en coulisses, non visibles du public pour ne pas choquer ou risquer le “bad buzz”.
Nous avons pu discuter avec le zoo d’Amnéville, qui nous a confié que ni PAZ ni Code Animal n’ont cherché à les contacter pour en savoir plus avant de diffuser publiquement leurs charges.
Nous remercions les éthologues et professionnels qui ont répondu à nos questions, et espérons que cet article aidera mieux à saisir la complexité de la question initiale, la difficulté de traiter un comportement de stéréotypie, et le contexte des sujets sur la captivité en général.
Quelques articles pour aller plus loin :
-Georgia J. Mason (1991). Stereotypies: a critical review. , 41(6), 0–1037. doi:10.1016/s0003-3472(05)80640-2
(https://atrium.lib.uoguelph.ca/xmlui/bitstream/handle/10214/4622/Mason_1991_(Stereotypies-_a_critical_review).pdf;jsessionid=54200A6C5D11F5C14254EAB5F01C360B?sequence=1)
la partie "Stereotypies and Normal Behaviour", pointe les similarités entre stéréotypies et certains comportements naturels
-Korff, Schaun, Harvey, Brian (2006). Animal Models of Obsessive-Compulsive Disorder: Rationale to Understanding Psychobiology and Pharmacology. , 29(2), 371–390. doi:10.1016/j.psc.2006.02.007
Sur les similarités entre symptômes humains et symptômes animaux (et notamment les TOCs) (https://pdfs.semanticscholar.org/e138/779bed0154b5345f113a339797428e10fe79.pdf?_ga=2.21081531.165970686.1653563498-1053805139.1651498087)
Nous remercions notamment :
- Mathilde Le Covec, psychologue, docteure en éthologie aviaire et cognition comparée, qui tient le blog "Le dinosaure à plumes” Dinosaures à plumes - comportement aviaire. Mathilde est surtout passionnée et spécialiste en oiseaux, mais durant ses années d’étude, elle a bien sûr été formée aux problématiques de la stéréotypie, aussi bien en parc zoologique que chez les animaux de compagnie. Ces comportements répétitifs sont très présents chez les perroquets de particuliers.
- Laura Da Silva, éthologue, qui a suivi un master en comportement animal et humain avant de réaliser un stage au zoo de Mulhouse pour réduire la stéréotypie de trois femelles pandas roux.
Elle a questionné tous les parcs zoologiques accueillant des pandas roux pour étudier statistiquement les facteurs influençant la stéréotypie et comment l’éviter ou la réduire.
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Re: Pourquoi les animaux tournent en rond dans les zoos ?

Messagepar Saki » Lundi 06 Juin 2022 20:58

Merci beaucoup Furylion pour ce partage ! c'est très intéressant. Cela illustre aussi, hélas, assez bien le triste monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. On pointe du doigt pour espérer nuire à ceux qui ne partagent pas vos idées, on gesticule, mais on ne cherche jamais vraiment à dialoguer, encore moins à comprendre l'origine des problèmes...
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