Retour de Champagne

Retour de Champagne

Messagepar alex2000 » Mercredi 11 Octobre 2023 20:53

De retour du Musée des Beaux-Arts de Châlons-en-Champagne où a eu lieu l'exposition "No Animo Mas Anima". En Français : "pas d'animaux, plus d'âme". Le prélude à un futur musée du cirque, en lieu et place des casernes Chanzy.
L'Exposition fut belle, riche de ses formes diverses : dessins, sculptures, peintures, photographies...Tout y est, tout y passe comme à une parade du cirque Barnum. Des affiches étonnantes même, tels que ces éléphants-barbiers du cirque Pinder passant la mousse à raser sur un congénère ou la femme-crocodile dite "Miss boytoon". Des clichés saisissants, en noir et blanc, immortalisant à l'instant décisif les prouesses du dompteur face aux rois fauves...Ah qu'il était beau le "cirque traditionnel" !
Des petites vignettes de bois distillent des informations succinctes, simples et efficaces pour un public profane, tout au long du parcours, quelque cinquante mètres en ligne droite...quoi c'est déjà fini ?
Alors quelle est l'oeuvre préférée ? La statue de bronze de Fabien Mérelle, de nouvel Atlas portant un éléphant sur son dos, aura sans doute remporté la majorité des suffrages publics. A moins que les superbes réalisations de Gustave Soury au crayon et encre de Chine, empruntes de beauté animale et férocité féline, n'aient également frappé les esprits.

Pourtant, si la forme est séduisante, sur le fond c'est une autre histoire.
Il y a de la griffe et de la dent au musée, tout un bestiaire digne des plus grands zoos : fauves à foison, éléphants, ours, otaries, hippopotames, crocodiles, serpents...et une absence, une lacune, un trou noir qui finit par crever les yeux. Point de sabot, pas l'ombre d'une crinière au vent, pas une trace de la plus noble conquête de l'homme, ni l'honneur d'une photographie d'un quelconque carrousel ou exercice de voltige sur la monture fougueuse...Pauvre Philip Astley ! L'écuyer anglais qui a fait renaître le cirque aux temps modernes, passé sous silence, oublié des tablettes et des murs, inconnu des cartels, effacé comme un simple Trotski de l'historiographie soviétique.
Un genre d'acte manqué qui comme chacun sait est un acte qui a trop bien réussi. Une omission somme toute nécessaire au regard de ces réalités historiques incontournables, en porte-à-faux du cirque sans animaux. De l'antiquité à l'époque moderne, du Circus Maximus aux premières représentations de Astley et successeurs, un même trait d'union : le cheval, le cheval, le cheval...Le cheval donc l'animal, sauvage ou domestique, est à la fondation du cirque. A t-on jamais vu un édifice se passer de ses fondations sans s'effondrer un jour corps et âme ?

Dés lors qu'on a acté la disparition des animaux, annoncée par les militants du cirque no animo, puisque c'est la loi du désir de se présenter comme irrésistible, se pose la question: quelle solution de remplacement ?
L'Exposition le suggère par touches successives, presque subliminales, à travers ces représentations semi-humaines semi-animales, une curieuse sarabande d'hybridations contre-nature. Outre la femme-crocodile précédemment citée, des créatures mi-homme mi-âne ou mi-grenouille, ou femme-papillon, femme-oiseau...A défaut d'animal sous le chapiteau, l'enjeu devient de montrer l' "animalité de l'homme".
Il est vrai que le ton était donné dés le début de la visite, par l'extrait vidéo d'une saynète
du cirque Plume (1991), dans laquelle l' "acteur zoomorphe" Cyril Casmèze prend la place du lion dans l'arène face à la dompteuse Michèle Faivre.
Notons au passage que le propos a aussi l'avantage de caresser les conformismes en vogue dans le sens du poil. Que les rôles eussent été inversés, le fouet dans la main du dompteur face à une femme-lionne, et c'eût été l'émeute chez les féministes, la meute des metootoo aux trousses du directeur de cirque poussé à l'exil jusqu'aux terres du Mordor.
En fin de compte, on serait tenté de paraphraser Voltaire, prophétique dans sa Lettre à Rousseau (1755) : " Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on voit le cirque nouveau. On n'a jamais employé tant d'esprit à nous rendre Bêtes". Le philosophe savait déjà que le sens de la Civilisation n'est pas l'animalisation mais la sublimation de l'Homme.

Dans ce contexte, quel peut bien être le sort des élèves du Centre National des Arts du Cirque, basé dans la même ville champenoise ?
Plus question de cercles de feu, de grands numéros dans la cage aux fauves, d'acrobaties à dos d'éléphant, de chameaux ni même de chevaux...Puisque l'heure est de faire la bête qui fait l'ange, va t-on apprendre aux impétrants à marcher en panthère, à rugir comme le lion ou réviser les postures et cris animaux lors de " stages d'animalité" promus par des circassiens nouveaux ?
Et les spectateurs à la représentation de sortie des élèves du cirque auront-ils droit à un spectacle de dressage avec tigre en peluche sur les épaules ? Ou des montreurs de nounours en fourrure artificielle ?
Gageons qu'un jour prochain au cirque contemporain, un Monsieur Loyal pourra annoncer fièrement : " Et maintenant, Mesdames et Messieurs, rien que pour vos yeux ébahis, un prodige de l'univers, un exploit comme vous ne l'avez encore jamais vu sur terre, l'homme faisant corps avec le colosse du monde, toute la puissance sauvage de la Nature, sous vos applaudissements, Elephantmannnnn ! "
Et la masse monstre de s'avancer dans la salle plongée dans l'obscurité, éclairée d'un seul rai de lumière, l'éléphant à dos d'homme, l'homme soutenant de tout son poids le gigantesque pachyderme, un babar géant en coton mousse pour que la statue de Fabien Mérelle devienne réalité poétique...

Enfin, l'exposition se termine sur une chute en contre-pied. Une sortie de piste inattendue et aussi spectaculaire qu'une descente de slalom géant où le skieur, pourtant droit dans ses skis jusque là, finit par rater la dernière porte, tombe dans le décor et embrasse le sapin.
En l'occurrence, la dernière projection vidéo en fin de visite, une représentation de la compagnie Raspaso scénarisée par Marie Molliens (2013). Que voit-on ? Le tigre, un vrai, garanti sans polyester, seul en piste, maître des lieux, bientôt rejoint par un faire-valoir, un homme silencieux qui s'efface devant l'animal en majesté, seulement soucieux de montrer les qualités naturelles de la bête prodigieuse. Un moment de complicité douce, comme un regret de ce que le cirque aurait pu advenir.
Sauf que cette évolution possible du cirque a eu un nom, une matérialisation, un spectacle : " Tigerworld ! " Zoo d'Amnéville, rue du Tigre. Et son prophète, Michel Louis, promoteur du dressage en douceur, "aux bisous et à la caresse".
Dans le fond, cette ultime mise en scène par Marie Molliens n'est-elle pas une forme de lapsus ? Le cri du refoulé qui ne veut pas mourir et frappe à la porte de la conscience : "Rendez-nous le cirque des neiges d'antan ! "
alex2000
 
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