Droits des animaux : comment font les autres ?
A l'occasion de la sortie du livre «Révolutions animales», tour d'horizon des initiatives dans différents pays.
L’ouvrage Révolutions animales, qui sort aujourd’hui, dresse non seulement un état des lieux historique et philosophique de notre rapport aux animaux, mais permet aussi de comparer la société française à ses voisins européens et de piocher quelques idées intéressantes à l'autre bout du monde. Petite sélection pour lancer la réflexion.
Des partis pour les animaux
C'est aux Pays-Bas que la défense des droits animaux semble le mieux intégrée aux débats politiques : le Partij voor de Dieren, soit «Parti pour les animaux», s'est lancé en 2003 et a accueilli des adhérents à la pelle dès ses premiers mois d'existence. Aux législatives de 2006, il obtenait déjà deux sièges au Parlement. Il a depuis investi six conseils municipaux (dont Rotterdam et Utrecht), puis obtenu deux élus au Sénat, et même envoyé une tête de liste au Parlement européen en 2014. Rangé plutôt à gauche de l'échiquier politique, il milite par exemple pour l'interdiction totale de l'abattage sans étourdissement.
Le Parti animaliste contre la maltraitance animale (Pacma) monte doucement en Espagne (1,19% aux dernières élections) tandis que le Parti de protection des animaux, en Allemagne, est un pionnier créé en 1993 mais stagne aujourd'hui autour de 1% des voix. En France, personne ne se consacre exclusivement à ce sujet. Les partis écolos sont toutefois de bons défenseurs des animaux, selon le classement du site Politique & Animaux.
Le droit des animaux en tant que discipline juridique
Souvent précurseurs pour lancer de nouveaux champs de recherches et d'enseignement dans les sciences sociales, les Etats-Unis ont défriché le droit animal dès 1977 avec un cours intitulé «The Law and Animals» à l'Université de Seton Hall, dans le New Jersey. Aujourd'hui discipline juridique à part entière, l'animal law s'intéresse à toutes les situations qui impliquent un animal, de la maltraitance de chiens domestiques aux conflits en cas de divorce (mais qui va garder le lapin ?)... Dans tous les secteurs du droit, les animaux se retrouvent mêlés à nos casse-têtes modernes : on se souvient qu'en 2014, un photographe britannique avait revendiqué des droits d'auteur sur un selfie pris par un singe – c'est le macaque qui tenait l'appareil photo et avait le doigt sur le déclencheur. Faut-il donc reconnaître un statut d'auteur aux animaux dans le code de la propriété intellectuelle ?
D'abord étendu à d'autres pays anglophones comme le Canada et l'Australie (mais aussi le Brésil et le Kazakhstan), le droit animal a finalement fait son chemin jusqu’aux universités d'Espagne, de Suisse, de Finlande, de Pologne et du Royaume-Uni en Europe, un continent conquis «en moins de cinq ans», note Révolutions animales. En France, pas grand-chose encore. Mais on a senti un frémissement à la rentrée 2015 : le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique (Ceere) de Strasbourg a tenté un master nommé «Animal : science, droit et éthique». Le début d'une grande aventure ?
Le retrait de l'autorité parentale
La Suisse a prévu une mesure juridique originale : dans tous les cas où plusieurs êtres humains se disputeraient la propriété d'un animal domestique, le juge étudiera les conditions de vie de la bestiole et prendra en compte son bonheur pour décider à qui il la confie. L'article 651a du Code civil, c'est un peu l'équivalent de l'«intérêt supérieur de l'enfant» pour les animaux :
«Lorsqu’il s’agit d’animaux qui vivent en milieu domestique et ne sont pas gardés dans un but patrimonial ou de gain, le juge attribue en cas de litige la propriété exclusive à la partie qui, en vertu des critères appliqués en matière de protection des animaux, représente la meilleure solution pour l’animal.»
Ainsi, on peut retirer la garde d'un animal à son propriétaire légal si quelqu'un la lui conteste, et la confier à celui qu'on juge plus apte à bien s'en occuper. En France, c'est le flou total. «L’animal ne possède pas de personnalité juridique, notait en 2013 le député Frédéric Lefebvre. En sa qualité de bien mobilier, il ne peut faire l’objet d’un droit de garde dans l’hypothèse du divorce de son maître.» Depuis, les animaux sont passés en France de «bien mobilier» à «êtres vivants doués de sensibilité», ce qui n'a pas changé grand-chose à leurs conditions de garde.
Une «personne non humaine»
«Etres vivants doués de sensibilité», soit. Mais «personne non humaine», c'est une expression d'un autre niveau qui commence carrément à suggérer que les animaux ont une conscience et une intelligence. C'est ainsi qu'un tribunal argentin a qualifié Sandra, un orang-outan de 29 ans, en décembre 2014. Le grand singe vivait au zoo de Buenos Aires depuis vingt ans quand l’Association de fonctionnaires et avocats pour les droits des animaux avait porté plainte pour demander sa libération : Sandra «a des liens affectifs, elle réfléchit, elle ressent, elle est frustrée d’être enfermée, elle prend des décisions, elle est dotée de conscience et de perception du temps, elle pleure quand elle perd un proche, elle apprend, elle communique et elle est capable de transmettre son savoir.» La décision de justice a reconnu son droit de vivre en liberté en tant que «personne non humaine».
Mais comme elle n'a jamais connu la nature et ne pourrait pas y survivre, le jugement n'a pas été suivi d'effet. Sandra devrait finir sa vie dans un espace réservé du zoo de Buenos Aires, alors qu'il va bientôt être transofrmé en parc écologique et que la majorité des jeunes animaux va être transférée ailleurs.
L'avocat des animaux
En Suisse toujours, le canton de Zurich s'est doté entre 1991 et 2010 d'un poste officiel d'«avocat du bien-être animal», occupé notamment par l'avocat internationalement reconnu Antoine Goetschel. Il explique la teneur de ce travail dans Révolutions animales : «représenter officiellement les intérêts des animaux dans les procédures criminelles et administratives, recruter des témoins et faire appel en cas de jugements trop laxistes protégeant les propriétaires.» C'est un avocat sans client ; il ne représente ni le propriétaire de l'animal au cœur du procès, ni les associations de protection animale, ni des vétérinaires qui initient souvent la plainte. Il a accès à tout le dossier, peut faire des interrogatoires ou aller chercher «des affaires similaires dans le passé», le tout au seul service de l'animal dont il est «la voix, comme s'il avait eu un avocat pour sa défense».
Mais le Code suisse de procédure criminelle a été unifié en 2010 à l'échelle nationale, et cette coquetterie zurichoise a disparu au passage.
Source : Libération