Montaigu-la-Brisette : zoo à défendre

Montaigu-la-Brisette : zoo à défendre

Messagepar nico » Mardi 24 Décembre 2019 12:58

Nicolas Lepoitevin-Descourcières a installé son parc animalier dans le Cotentin en 1983. Alors que la montée en puissance de la cause animale alimente le désamour pour son métier, le Normand prône avec gouaille et humour une exploitation à taille humaine et raconte sa belle relation à ses «bestioles».

Image

A force, il finirait par vous foutre la trouille. Quand il vous fait pénétrer dans les enclos des animaux, Nicolas Lepoitevin-Descourcières ne cesse de vous mettre en garde contre leur hostilité potentielle. Le plus souvent, en se marrant à moitié. Si bien qu’on ne sait plus si c’est du lard ou du cochon. Chez les aras : «Attention, ça te bouffe le doigt. Mais ça s’arrête à l’os.» Cela n’empêche pas le propriétaire de leur déposer des cacahuètes dans le bec. Au-dessus de l’île aux babouins, à bonne distance : «Avec leurs crocs de 15 centimètres, ça ne te mord qu’une fois.» Même à côté du porc-épic, qui a l’air tout inoffensif : «Ses piques te traversent la jambe en un rien de temps.» Il y a des années, l’un des «gars» de Nicolas s’est d’ailleurs retrouvé avec une tige blanche et noire au milieu du mollet. Une autre bête dangereuse est le dromadaire, capable de vous étouffer en s’agenouillant sur vous. Au loin, l’un d’entre eux, trop méchant, a été isolé dans un champ. Il s’appelle Mahmoud, référence à Ahmadinejad, l’ancien président iranien. Les dromadaires sont tellement infects que le patron des lieux a pris l’habitude de leur donner des noms de dictateurs.

«Saucisson»
Dans le Cotentin, le parc animalier de Montaigu-la-Brisette, qu’on a nous-mêmes arpenté gamin et dont on connaît l’hôte depuis longtemps, est la version «taille humaine» du zoo. Quinze hectares, 40 000 visiteurs par an, sept salariés et l’entrée adulte à dix balles («les gens du coin trouvent tout cher», soupire le proprio). Il y a là entre 300 et 400 animaux. Des «bestioles», comme dit affectueusement Nicolas Lepoitevin-Descourcières, vers lequel les moutons et bien d’autres accourent lorsqu’il s’approche, convaincus que c’est à nouveau l’heure de déjeuner. Ni fauves ni grands animaux sauvages. L’endroit n’a rien à voir avec un Beauval, «parti dans la démesure et le délire», selon le propriétaire, avec sa télécabine ouverte au printemps pour survoler les girafes. «Je privilégie le côté nature, champêtre, le cadre, le fait de pouvoir approcher les animaux», explique le Normand.

Il faut compter deux petites heures, sans se presser, pour la visite. Elle a davantage des allures de promenade à la campagne ou en forêt, au milieu des arbres, des étangs, des prés, et bien sûr des animaux. Les vitres et les grillages ont été le plus possible ôtés, laissés seulement pour les oiseaux, les loups ou les singes. Les poteaux de bois soutenant les barbelés des enclos sont rabaissés d’année en année. L’impression d’espace s’en trouve renforcée. Le «parc animalier» mérite bien son nom, même s’il ne devrait pas le porter : «C’est une coquetterie, concède Nicolas Lepoitevin-Descourcières. Quand j’ai commencé, les zoos étaient mal vus. Le mot faisait penser aux minuscules cages à fauve. Des trucs qui n’existent plus. La vraie définition d’un parc animalier suppose la semi-liberté et des animaux qui se nourrissent tout seuls. Ce n’est pas le cas ici.» Deux fois par semaine, il va récupérer les «invendables» du Leclerc des environs pour les donner aux animaux.

On était venu pour parler de ça, justement, c’est-à-dire d’éthique animale. Comment un patron de zoo vit-il le retour de la cause dans le débat public et la montée en conviction des militants, qui auraient vite fait de l’assimiler à un exploiteur sans scrupule ? Nicolas Lepoitevin-Descourcières vide l’interrogation de tout son sens en quelques phrases, avec une désarmante sincérité : «Oui, les animaux seraient mieux en liberté. Mais ils sont bien là. A Madagascar, on bouffe les lémuriens. En Guyane, on bouffe les perroquets. Jamais je ne dis que j’ai raison de faire ça. Parfois, je me dis que je fais de la merde…» Une respiration. «Mais j’aime ça. On pourrait n’avoir que de la faune domestique, peut-être. Moi qui viens du milieu agricole, je préfère avoir ce parc plutôt que d’emmener des animaux à l’abattoir. Il n’y a pas un poney ici qui finit en saucisson. Ils meurent tous à la maison.» Les bêtes ayant atteint un âge certain sont mises à l’écart. Les gens ne comprennent pas pourquoi elles sont moins belles, pointent leur mauvais poil, les croient malades. «Un vieil animal, il ne faut pas le montrer. C’est comme nos vieux à nous, qu’on cache dans des maisons de retraite», philosophe le proprio.

«Pipoune»
Il faut qu’il les aime, ses vieux compagnons. Car le job n’est pas de tout repos. En dehors de congés toujours trop courts, c’est sept jours sur sept et, en été, plus de douze heures par jour. «T’y bouffes ta vie, t’y consacres tout, t’as plusieurs emmerdes par jour», résume le patron, un faux calme sous lequel se cache un grand stressé. Malgré cela, et malgré ses 61 ans, il n’a guère envie d’arrêter. Des idées d’agrandissement et d’aménagement germent encore dans son crâne. Derrière ces envies, on sent moins l’esprit de conquête entrepreneuriale que l’amour de ses bestioles, dont il parle avec érudition et délicatesse. L’histoire du lémurien «Pipoune», qu’il a élevé au biberon chez lui, avec sa femme et ses trois enfants, est à fendre le cœur : couvé par des hommes au début de sa vie, le singe n’a jamais été accepté ensuite par ses congénères. Le rejeté en a produit du ressentiment et de l’agressivité, qui obligent ses maîtres à l’isoler dans un lieu clos. Trop d’amour, trop de haine. Le propriétaire du parc a installé la radio, le chauffage et la lumière à Pipoune pour lui éviter une méchante dépression. Cela ne marche pas fort. Devant nous, le lémurien, yeux fous et queue relevée, hurle et s’agite.

Nicolas Lepoitevin-Descourcières a créé le parc en 1983. Fils d’agriculteurs, il conduit des cars à son retour du service militaire et ne sait «pas bien quoi faire de [sa] peau». Il squatte un bout de champ familial pour lancer des balades à poney, ajoute un lama, deux cochons d’Inde et trois biquettes. «A l’arrache.» Circonspect, le paternel consent à lui donner un terrain. «Au début, les gens me prenaient pour un fou. Aujourd’hui, les agriculteurs me disent que j’ai eu raison.» Pendant que de nombreux voisins éleveurs s’enfoncent dans la misère, l’ami des bêtes s’en sort très bien. Quelques jours après notre balade, il doit s’envoler en vacances pour la Réunion.

Obélix
L’argent n’est pas un problème, au contraire de la météo. Dans cette satanée presqu’île normande, le crachin n’est pas rare. «On est penchés à longueur de temps sur les prévisions. En été, tu fais 700 entrées quand il y a du soleil, 50 quand il pleut. A la fin, on arrive normalement à équilibrer… Le vent, ça veut dire des branches partout dans le site. L’entretien d’un tel endroit est compliqué. Le principal est que les gens aient les pieds au sec sur les chemins.» A défaut, cela peut se traduire par une avalanche de commentaires négatifs sur la page Facebook. Le taulier n’en revient pas : «Les gens ronchonnent tout le temps à l’entrée. Mais sur les réseaux sociaux, ils te dégomment, c’est incroyable comme ils se lâchent.»

Ceux contre lesquels il peste le plus restent les services vétérinaires. Il est à peine besoin de le lancer sur le sujet : «Ils viennent au parc, trouvent un poteau un peu cassé et te disent "il est cassé". Bah oui, il est cassé, je vais le réparer.» Un peu plus et il tapoterait sa tempe avec son doigt, à la manière d’Obélix. «Ils pètent un câble avec la flotte aussi. Pour faire une mare de 2 m2, il te faut 50 papiers.» Aux débuts du parc, Nicolas Lepoitevin-Descourcières et son père ont creusé des étangs au bulldozer, sans rien demander à personne. «C’était plus facile. Tu commençais un truc, tu te faisais attraper, on te régularisait. Maintenant, j’ai laissé la paperasse à un gars, ça me rend fou.»

L’homme confesse qu’il y a des jours où l’excès de contraintes lui donne envie de tout lâcher. A un an de la retraite, il serait temps de penser à la succession. Pas simple. Les trois enfants ne sont pas très chauds pour reprendre l’affaire et les repreneurs ne courent pas les bois alentour. «Je devrais déjà avoir lâché le truc. Mais est-ce que tu vas trouver un gars pour investir dans le Cotentin ? Ce n’est pas sûr. Tout le monde dans mon entourage me dit que ce serait dommage de fermer, même les services vétérinaires !» La solution pourrait être de céder le parc au conseil départemental. Ou à un autre zoo, mais l’idée ne ravit pas le patron des lieux. Il est bien obligé de continuer quelques années encore. Pas sûr que ça lui déplaise, au fond. «Plus de trente ans, c’est beaucoup. Mais je me surprends encore à me balader dans le parc.»


Source : https://www.liberation.fr/france/2019/1 ... re_1770839
Biofaune : L'actualité nature au quotidien
https://www.facebook.com/biofaune/
Littérature zoologique sur facebook : Découvrez les plus beaux ouvrages sur les parcs zoologiques.
https://www.facebook.com/Litt%C3%A9rature-zoologique
Avatar de l’utilisateur
nico
 
Messages: 3821
Enregistré le: Vendredi 29 Juillet 2005 12:29
Localisation: indre et loire (chinon)

Re: Montaigu-la-Brisette : zoo à défendre

Messagepar didier » Jeudi 26 Décembre 2019 17:46

40 000 visiteurs, je ne suis même pas sûr que Calviac ou Zoodyssée les dépassent, étonnant pour ce parc dont j'avais oublié l'existence.
En France , la liberté d'expression est un principe intangible, c'est sur cette base que toute personne peut librement émettre une opinion, positive ou négative, sur un sujet mais aussi sur une personne physique ou morale, une institution .
didier
 
Messages: 15735
Enregistré le: Samedi 13 Août 2005 10:28
Localisation: charenton-le-pont


Retourner vers Actualités

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun utilisateur enregistré et 21 invités

Tigre en mouvement