Introduction à la lecture de l'Histoire des Ménageries de l'Antiquité à nos jours de Gustave Loisel, 1912 à 2012
Gustave Loisel (1864-1933), docteur ès sciences et docteur en médecine, biologiste de carrière et professeur à la Sorbonne, nous a laissé il y a 100 ans l'un des ouvrages les plus marquants à propos du monde des zoos. Son Histoire des Ménageries de l'Antiquité à nos jours, publiée en 1912, est un parcours historique de l'évolution des zoos et une vue d'ensemble de leur état et de leur statut au début du XXe siècle, encore remarquables de nos jours !
En 1905, Gustave Loisel débuta une campagne « pour obtenir une réorganisation et une utilisation plus complète » de la Ménagerie du Jardin des Plantes (Loisel 1912). Celle-ci, ouverte au public en 1794, est considérée comme l'un des zoos les plus anciens encore existants à l'heure actuelle. La Ménagerie a gardé son atmosphère d'antan et de nombreuses constructions historiques y sont encore visibles. Face aux efforts de Monsieur Loisel, le Ministère de l'Instruction publique, précurseur du Ministère de l'Éducation nationale, le chargea en juillet 1906 de trois missions d'études des jardins et établissements zoologiques d'Europe et d'Amérique du Nord. Loisel partit donc à la découverte des zoos, publics et privés, du Royaume-Uni, de la Belgique, des Pays-Bas, d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie, de la Suisse et du Danemark, mais aussi des États-Unis et du Canada. Son approche fut la plus exhaustive possible, pleine de rigueur et préparée avec minutie. Il s'efforça « tout d'abord de bien comprendre sur place l'organisation et le mode de fonctionnement des divers établissements zoologiques [qu'il visitait], d'étudier les différentes façons de loger et de nourrir les animaux sauvages, et de noter toutes particularités concernant l'élevage en captivité des espèces les plus rares et les plus précieuses » (Loisel 1907b). Lors de ses voyages, Loisel fut partout bien accueilli « non seulement de la part des savants dont [il visitait] les laboratoires ou les champs d'expériences, mais encore de la part des présidents ou secrétaires de sociétés, des directeurs et surintendants des Jardins zoologiques et des grands propriétaires qui [lui] ouvraient leurs parcs » (Loisel 1907a). Trois épais rapports, illustrés de clichés photographiques, plans, croquis et tableaux, furent publiés en 1907 et 1908 à la suite de ces missions. Loisel décrit en détails quatre-vingt-sept institutions zoologiques qu'il a visitées et termine son dernier rapport par un important chapitre où il expose ses conclusions quant au « choix de l'emplacement et de l'étendue d'un Jardin zoologique », aux « collections d'animaux que l'on doit entretenir dans un Jardin zoologique », aux « meilleurs moyens de se procurer et de garder les animaux en bonne santé », aux « diverses utilisations d'un Jardin zoologique » et finalement quant à « l'administration et [au] personnel d'un Jardin zoologique ».
De plus, il décide d'illustrer les conclusions générales de ces rapports par un exemple de construction idéale d'une ménagerie. Ce chapitre est particulièrement précis et détaillé, et contient jusqu'aux plans et mesures de la construction qu'il préconise. C'est véritablement le projet d'un lieu innovant et moderne que Loisel conçut là, dans une période d'ailleurs particulièrement propice au développement des jardins zoologiques ; rappelons que le Tierpark Hagenbeck à Hambourg venait tout juste d'être inauguré en 1907. Loisel poursuit non seulement l'idée d'offrir aux animaux de l'espace, mais aussi de créer des perspectives innovantes et une nouvelle approche de la présentation au public et de l'étude des animaux captifs. Ses idées de cohabitation et de regroupement d'espèces sont également innovantes !
Gustave Loisel effectua en 1910 une quatrième mission d'études, au cours de laquelle il visita les espaces zoologiques de Pologne, Russie, Finlande et Scandinavie. Celle-ci ne fut jamais suivie d'un rapport scientifique spécifique, mais ses notes de voyages ont heureusement été incluses dans plusieurs chapitres de son Histoire des Ménageries que nous allons présenter ci-dessous !
Plan d'une ménagerie idéale par Gustave Loisel, Salon de
1908
(Histoire des
Ménageries de l'Antiquité à nos jours, 1912, Planche XXII du
Tome III)
A la suite de ses trois premières missions, fort de toutes ses découvertes, Loisel s'intéressa aussi peu à peu à l'histoire et au développement de tous les espaces zoologiques qu'il venait de visiter, à l'origine même des jardins zoologiques dans leur ensemble et à leur évolution. Il avait alors déjà compris l'importance « de savoir comment les choses ont vécu autrefois, pour mieux comprendre comment elles peuvent péricliter et mourir aujourd'hui » (Loisel 1912).
Au cours de ses voyages, il avait pu regrouper de nombreuses informations et récolter de nombreux documents historiques. Il visita ensuite les archives, bibliothèques et musées de France pour y déceler des informations complémentaires et plus spécifiques à son pays d'origine, la France étant d'ailleurs un pays précurseur et novateur à certaines époques de l'histoire dans le maintien en captivité d'animaux sauvages.
Sa première publication historique retrace une histoire très détaillée de la Ménagerie du Jardin des Plantes, parsemée d'anecdotes et de détails quant aux dirigeants et aux animaux de cet établissement, publiée en deux parties dans des numéros de La Revue Scientifique de 1911.
C'est probablement cette double approche, systématique étude moderne et recherches historiques, qui donna ensuite à son Histoire des Ménageries de l'Antiquité à nos jours toute sa force et sa singularité. Publié en 1912, en trois volumes, cet ouvrage retrace l'histoire des parcs zoologiques de l'Antiquité au début du XXe siècle et inclut une description détaillée des zoos et aquariums existants alors en Europe et en Amérique du Nord. Les deux premiers volumes sont le fruit des recherches historiques de Loisel, tandis que le troisième reprend les observations et conclusions de ses missions scientifiques. Les trois volumes furent pensés à la fois pour les zoologistes, les directeurs de jardins zoologiques, mais aussi pour les historiens, et semblent aussi avoir été très bien accueillis par la critique (Davillé 1914).
Il est intéressant de lire, qu'au cours de son « enquête aussi attachante que complexe » (Loisel 1912), Gustave Loisel avait déjà rencontré la problématique de la définition du terme englobant tous ces établissements visités et décrits. Il avait finalement opté pour le nom de ménagerie, dans un « sens collectif, désignant toute espèce de logement d'animal », qu'il soit gardé « dans une “maison de bêtes”, dans une fosse, dans un bassin, dans une simple cage ou même vivant en demi-liberté dans un parc ou dans quelque pièce d'un château [...] pour le luxe ou l'amusement, pour la chasse ou la table, ou encore pour servir à la science et à l'art » (Loisel 1912).
Gustave Loisel meurt en juillet 1933 à près de soixante-neuf ans. Il laisse derrière lui une bibliographie unique à propos des jardins zoologiques modernes et de leur évolution et développement au cours des siècles. L'histoire ne dit pas s'il put finalement s'investir directement dans le renouvèlement de la Ménagerie du Jardin des Plantes, mais il est fort probable que la Première Guerre Mondiale ait brusquement freiné et limité la possibilité et la faisabilité d'autres missions. La fin des années 1920 et le début des années 1930 reste néanmoins une période faste pour la Ménagerie avec la construction de plusieurs bâtiments dont une petite singerie (1928), un vivarium (1929), une nouvelle singerie (1934) et une fauverie (1937). L'inspiration de Gustave Loisel et de ses écrits zoologiques se ressent, sans aucun doute, dans quelques-unes de ces constructions, mais aussi dans d'autres installations, certaines beaucoup plus récentes, dans divers espaces zoologiques européens. Cela illustre tout à fait la singularité, la créativité, la modernité, et surtout et encore la passion et l'engagement, de Gustave Loisel !
Quant à moi, c'est en février 2003 que j'ai eu la chance d'acquérir l' Histoire des Ménageries de l'Antiquité à nos jours chez un bouquiniste lyonnais et cet achat avait représenté à l'époque un sacré investissement ! J'ai dévoré les trois volumes de la première à la dernière page en quelques semaines à peine et cette lecture est encore très présente dans mon esprit. J'avais créé quelques dix-huit mois plus tôt le site internet www.leszoosdanslemonde.com pour présenter les comptes-rendus de mes visites d'espaces zoologiques à travers le monde ; l'approche exhaustive, scientifique, réfléchie et minutieusement organisée de Gustave Loisel m'avait fait tant rêvé et continue à m'inspirer, sans que j'en sois peut-être complètement conscient.
Jonas Livet - 21 septembre 2012
- Références et publications mentionnées
- ▸ Loisel, G. (1907a) ‘Rapport sur une Mission Scientifique dans Les Jardins et Établissements Zoologiques Publics et Privés du Royaume-Uni, de la Belgique et des Pays-Bas' in Nouvelles Archives des Missions Scientifiques 14 : 1-124.
- ▸ Loisel, G. (1907b) ‘Rapport sur une Mission Scientifique dans les Jardins et Établissements Zoologiques Publics et Privés de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie, de la Suisse et du Danemarck' in Nouvelles Archives des Missions Scientifiques 15 : 125-282.
- ▸ Loisel, G. (1908) ‘Rapport sur une Mission Scientifique dans les Jardins et Établissements Zoologiques Publics et Privés des États-Unis et du Canada, avec Conclusions Générales sur les Jardins Zoologiques' in Nouvelles Archives des Missions Scientifiques 16 : 217-406.
- ▸ Loisel, G. (1911a) ‘Histoire de la Ménagerie du Muséum' in La Revue Scientifique 49 (9) : 262-277.
- ▸ Loisel, G. (1911b) ‘Histoire de la Ménagerie du Muséum (2)' in La Revue Scientifique 49 (10) : 301-304.
- ▸ Loisel, G. (1912) Histoire des Ménageries de l'Antiquité à nos jours, Paris: Octave Doin et fils & Henri Laurens. Tome I : Antiquité - Moyen Âge - Renaissance, 319 p. Tome II : Temps modernes (XVIIe et XVIIIe siècles), 392 p. Tome III : Époque contemporaine (XIXe et XXe siècles), 563 p.
- ▸ Davillé, L. (1914) ‘Compte-rendu critique G. Loisel Histoire des ménageries de l'antiquité à nos jours' in Revue Historique 115 : 141-148.