A mi-chemin entre le compte-rendu et la galerie photographique, je vous propose ces Déambulations zoologiques de l'année écoulée. Pardonnez moi le caractère non exhaustif de ce sujet, les imprécisions et les libertés prises avec la chronologie. j'ai avant tout voulu privilégier l'affectif et l'ambiance au travers d'un récit. En espérant que ce long poème en prose et en images vous plaise.
(En cliquant sur les photos, vous pourrez les voir en haute définition. Je ne sais pas pourquoi il y a une baisse de qualité pareille à l'upload...)
Avant-propos
Je crois que l’essentiel tient à ce moment précis. Carole presse le déclencheur de son appareil photo et me montre le résultat. Un ibis hagedash, brun et émeraude, s’ébroue dans l’eau noire du sanctuaire. Des gouttes en suspens. Un bec et des plumes trempés. Le clair-obscur. À cet instant, une frustration monte et dresse un constat simple : je ne ramènerais aucune image de ce voyage. Aucune histoire, aucun souvenir, autres qu’oraux, à partager. Cette jeune femme, compagne imprévue et improvisée de cette seconde visite, vient de changer profondément mon rapport au zoo. Parce que, c’est décidé, je vais aussi faire de la photo. Je rentre de Doué et file à Lyon, Place Bellecour, où j’investis dans un appareil. Bon rapport qualité-prix selon le vendeur. Un modèle facile pour débuter. Alors je me lance sur les pistes. Avec pleine d’idées dans la tête. Mais une, je crois, domine tout.
À toi qui me lis maintenant, j’aimerais faire une confidence. Si je suis passionné par les animaux, je crois que ce que j’aime aussi dans le zoo, ce sont les cages. « Vous devriez vous placer ici, on ne voit pas le grillage. » Comment aurais-je pu expliquer à cette gentille dame que le grillage m’intéresse ? Les lignes sous-tension aussi, et puis le reflet des vitres, les trappes et le crépi usé des bâtiments. Pourquoi nier la cage -grande ou petite - ? Pourquoi chercher à effacer tout ce qui rappelle l’artificiel d’un quotidien anormalement « bien » réglé ? Rentrer et sortir de la loge à l’appel de la nourriture laissée par les soigneurs. Arpenter, encore et encore, le même couloir enserré de fils électriques, installés là pour protéger la végétation. N’avoir connu que le carrelage, les poutres de bois et le verre, loin de la terre, de la pluie et du vent. Et puis ces îlots hérissés de piquets et de cordes pour représenter la jungle. Et, de temps en temps, un joyau d’histoire, d’architecture et de sens. Tous ces éléments constituent le zoo. Ils y dessinent une trame graphique puissante et singulière. Je ne veux pas faire de la photographie animalière mais de la photographie de zoos. On peut me faire la remarque que l’animal devient secondaire dans cette démarche mais cet angle de vue constitue pour moi un formidable moteur à histoires -poétiques, étranges ou insolites. L’occasion de révéler, et il est toujours bon de le rappeler il me semble, que le sensible est partout.
Simon Bonnard – Quelque part en Isère – 23 décembre 2023
Chapitre 1 : Premiers essais entre les plumes

Pélica
Pélican frisé, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.
J’habite à moins d’une heure des dombes. Un royaume d’eau et de roseaux. Là-bas se dresse un grand rectangle de verdure ponctué de volières, d’étangs et de pelouses ornés de créatures emplumées. Le parc des oiseaux sera mon premier terrain de jeu photographique. Choix logique tant mes souvenirs d’enfant puis d’ado gonflent les sensations. La familiarité remplace la nécessité de se repérer. La promesse de visites régulières compense la frustration de pas tout voit ou tout faire en une seule fois.
C’est le début de l’été. Le ciel est nuageux, blanc. Un blanc immonde qui bave, qui frappe fort. La lumière ne sera pas de mon côté pour cette première fois. L’automne et ses rayons rasants me font déjà rêver. Je me console en pensant qu’il s’agit avant tout d’une visite de repérage. Je n’ai pas encore testé l’appareil photo et je sais que l’apprivoiser va prendre du temps. Je n’ai aucune connaissance technique et, malgré mes quelques connaissances du monde animal, je n’ai qu’une vague idée des comportements types du photographe animalier. Pire que cela, je ne sais pas vraiment à quoi m’en tenir quant aux résultats. Le doute est là. Partout. J’espère faire tout de même une petite poignée de « bonnes images » si tant est que ces mots aient un sens. Bonnes par rapport à quoi ? À qui ? Deux ou trois suffiraient. Même une seule en fait. Juste pour m’indiquer, même avec une imprécision crasse, que je peux persister. Que j’ai raison d’emprunter ce sentier.
Alors j’y vais.

Broussailles
Nandou commun, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Tendresse
Vautours fauves, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Tremblement
Sarcelle de Bernier, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Vivons cachés
Dendrocygnes siffleurs, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Après le temps
Gypaète barbu, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Envergure
Gypaètes barbus, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Eremita
Ibis chauves, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Fusée
Tantale ibis, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Sentinelle
Héron goliath, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.
L’endroit change peu d’une année à l’autre. On a vidé la maison centrale, celle au bord du grand étang. Des écrans ont remplacé les oiseaux dans un simulacre d’abandon. Partout ailleurs, le parc demeure, peu ou prou, une copie de lui-même. Mais j’aime cette flore, ces espaces peuplés d’oiseaux sauvages, l’odeur sous les saules. Le lieu est si vaste…
Les grandes volières sont belles, finement travaillées en paysages et en points de vue. La couleur et le mouvement s’y épanouissent plus spontanément que lors du spectacle en musique. Il aura lieu à 10 h, 14 h 30 et 16 h, là-bas dans l’amphi au bord de l’eau. Je n’irais pas. Je préfère la quiétude de ce demi-cylindre d’acier rempli d’opale. J’aime à penser qu’une réalisation pareille, à la fois brute et pleine d’intimité, aurait eut sa place au zoo des roches de Franck Pê. Le chemin trempé répond à l’eau noire décorée d’ibis-coquelicot. Les scénettes se multiplient. Prenant recul, les quelques visiteurs disparaissent au détour de la courbe du sentier, engloutis par la jungle et le contre-jour.

Pensées pour le zoo des roches
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Rubis-opale
Ibis rouge, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Velours
Ara hyacinthe, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.
Pourtant ces structures ceintes de noms exotiques – Pantanal, Krabi, Bush ! – font figures de mouchoirs de poche après l’expérience de Doué. Et il y a tant de mutilés par ici. Même les bêtes intègres parcourent leur scène en deux coups d’ailes. Cette cité des perroquets, surtout, est déprimante. Successions de boîtes dénudées à l’ombre de la vraie flore, immense et luxuriante. Pourtant, c’est l’endroit où je traîne le plus. Ces façades de gabions, ces vieilles grilles et ces poutres offrent une grammaire visuelle saisissante. Je commence à voir des tableaux vivants. Je pense à Gilles Aillaud. Ici, on parle d’enfermement, de solitude, de comportements détraqués mais aussi de vie. La vie qui explose, qui ne peut se résigner. Plumes souillées. Becs fouillant la charogne. Silhouettes fondues dans les murs crépis.

Joyau
Inséparable de Fischer, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Robustus
Perroquet du Cap, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Carnivora
Cacatoès nasique, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Cacatua
Cacatoès à huppe jaune, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Hyacinthes
Aras hyacinthes, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Rupicola
Coq de roche péruvien, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.
Mon regard se structure, hiérarchise le paysage. Pour qui ne saurait pas ce qu’il regarde, la volière du bush australien a des airs d’épave. Est-ce vraiment une structure zoologique ou bien un vaisseau à l’abandon ? Ce filet noir qui imprime la rétine. Cette végétation marécageuse qui noie ses murs. Arrive un ciel qui vole les couleurs d’un nuancier perdu. L’atmosphère se dilate vers l’ailleurs.

Relique
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Casuarius
Casoar à casque, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Flore
Flamants du Chili, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes), octobre 2023.
Les deuxième, troisième et quatrième visite arrivent plus tôt que prévues. Le pass annuel est vite amorti. J’ai dans l’idée de jouer davantage avec le décor. De parler de captivité. Encore plus. Sans concession. Même si cela conduit à plus d’âpreté. La poésie et le beau sont parfois vissés à la laideur du réel, qu’il soit vu, vécu ou sous-entendu. Alors arrive le noir et blanc. J’aime la poésie de la couleur mais le noir profond et le blanc qui aveugle… Ils s’imposent comme une évidence. Les textures apparaissent plus clairement, les contrastes dessinent des lignes imprévues et des cadres forts. Et puis, l’indicible prend place dans les récits.

Estampe
Paon bleu, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Ombre
Cigogne blanche, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Gouttes
Inséparables de Fischer, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.
J’ai alors l’impression de redécouvrir Villars-les-Dombes, d’arpenter un tout autre parc. Car les lieux racontent tout autre chose. Une magie, ancienne et lourde, commence à crépiter dans mon œil bichromé. Je vois des landes mystérieuses. Quelque chose s’étale, là-bas. Ce bassin répond à l’immensité de la dombe. Les arbres semblent se fondre dans la structure même des volières. Et dans les allées, les visiteurs déambulent comme des ombres.

Frontière
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Dombes
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Grève
Manchots de Humboldt (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Boîte
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.

Par ici !
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Promenade
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.

Corridor
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Présence
Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.
J’entre dans la galerie des nocturnes. Les chouettes nous toisent derrière les meurtrières, dans leurs boîtes noires et basses couvertes de plantes grimpantes. Le plafond de ces pergolas s’anime sous le vent. Brise chaude se déverse sur l’immobilisme. Qui a désiré ce jardin un peu triste ? Plus loin, des vautours marchent dans la rocaille.

Dentelle
Chouettes leptogrammes, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Vultur in obscura
Gypaète barbu, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Vultur fugax
Vautour fauve, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.
L’Afrique en mosaïque m’apparaît plus durement. Pourtant vaste, cette zone du parc m’attriste. Les grues, flamants et pélicans sont cloués au sol. Qui accepte encore ça, à notre époque ? Qui se pose ne serait-ce que la question ?

Sol
Grues demoiselles, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.

Supplice
Tantale ibis, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet

Alamo
Héron goliath et spatules d’Afrique, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Les gardiens
Messager sagittaire, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Drapé
Grue caronculée, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.
Reste que les autruches offrent une danse superbe…



Struthio
Autruches d’Afrique, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.
La grande volière africaine est un sacré rassemblement de gueules.... J’aime les animaux que d’aucun trouve laid ou rebutant. J’aime leurs textures. Et dans ce domaine, le marabout est un vrai champion. Sa peau est comme brûlée par le soleil, son bec se craquèle, son œil est hagard, déluré. Mauvais selon certains. Je peux comprendre ce point de vue. J’ai déjà été chargé par l’un de ces charognards géants. Année différente, même espace, semblables acteurs. L’adjudant est debout sur le sentier. Je le contourne, lentement et prudemment. Je ne veux ni l’effrayer ni le déranger. Mais pour lui, je passe trop près. Il me charge, brandit son bec comme un poignard. Son arme ricoche sur mon bouclier de fortune. Je jure en reculant, manque de tomber par terre puis, étourdi mais entier, bats en retraite. Je regarde mes jumelles. L’oiseau a fendu leur coque. Depuis, je me méfis de la dangerosité des marabouts. Mais ils me fascinent.


Glaive
Marabout d’Afrique, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.

Goliath
Héron goliath, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Funambules
Spatules d’Afrique, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.
Le soleil d’été est encore haut dans le ciel quand je pars. Il est pourtant 17 h. Je n’ai pas compté le nombre de fois où j’ai déclencher l’appareil. En rentrant, je regarderais la série et commencerait le grand tri. Combien d’images resteront au final ? Je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça. La vraie « épreuve » arrivera quand d’autres personnes jetteront leur regard sur ces clichés. Mais au moins, cette fois, je rentre avec des souvenirs…


Dacelo
Martin-chasseur à ailes bleues, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.

Buceros
Calao à bec noir, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), octobre 2023.

Plumes et écorce
Rollier à ventre bleu, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.

Tucano
Toucan à bec rouge, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), mai 2023.


Encre-pluie
Pélicans frisés et oies à tête barrée, Parc des oiseaux (Villars-les-Dombes, Ain), juillet 2023.