Au chevet des animaux sauvages du zoo-refuge La Tanière, près de Chartres, cette vétérinaire engagée soigne les rescapés sans émettre de jugement. Jusqu’à un certain point…
30MA : Soigner des animaux sauvages, est-ce une ambition de longue date pour vous ?
Florence Ollivet-Courtois : Je suis un peu tombée dans la potion magique quand j’étais petite… Il y a quatre générations de vétérinaires dans ma famille. Forcément, je n’ai jamais envisagé de faire autre chose. Ensuite, comme tous les étudiants à qui les professeurs ont demandé : « Qui veut faire Daktari ? » à leur entrée à l'école vétérinaire, j’ai levé la main ! Seulement, au fil des années, le choix de la spécialité (chirurgie, échographie, cardiologie) en détourne beaucoup de ce rêve… Pour ma part, je n’ai jamais arrêté de rêver. J’ai également conservé une idée insouciante du métier qui m’a fait « oublier » qu’il est très difficile d’en vivre et qu’il y a très peu de places en parc zoologique. Par ailleurs, l’école française n’y forme pas vraiment. J’ai donc commencé à faire des cursus « faune sauvage », l’été, en Floride. En 3e année, j’ai davantage orienté mes stages en faisant, par exemple, des anesthésies sur des primates. Et en 4e année (qui était la dernière à l’époque), j’ai réalisé mon optionnel au zoo de Vincennes. Toutefois, on ne peut pas vraiment dire que je suis spécialisée dans la faune sauvage, mais plutôt que j’en fais un exercice exclusif. Pour être spécialiste, il faudrait que j’aie un diplôme du collège européen et seulement une poignée de vétérinaires français l’ont !
Aujourd’hui, travaillez-vous uniquement pour le zoo-refuge La Tanière, situé à Nogent-le-Phaye ?
À terme, c’est ce qui arrivera. Pour le moment, j’exerce en libéral (elle a été la première en France, et toujours la seule femme aujourd’hui, ndlr). Je consacre encore une journée par semaine à d’autres parcs zoologiques, et je travaille ponctuellement avec les autorités sanitaires, que j’aide à la capture d’animaux sauvages. J’interviens aussi dans quelques cirques car j’ai prêté serment de soigner, comme les médecins, et j’estime que tous les animaux doivent avoir accès à des soins de qualité.
Mais il est vrai que La Tanière est l’endroit dont tous les vétérinaires de la faune sauvage rêvent. J’ai à ma disposition du matériel dernier cri, je soigne un panel d’animaux extrêmement large qui me permet d’être en relation avec les meilleurs vétérinaires partout sur la planète. Et surtout, j’aime la philosophie du refuge. Ici, on met autant de soin à s’occuper d’une poule que d’un tapir. On ne fait aucune différence, aucun spécisme. Et notre politique est de ne pas juger les propriétaires des animaux que l’on recueille.
Rencontrez-vous des freins dans vos actions de sauvetage ?
Oui, bien sûr. Des freins techniques quand, par exemple, l’animal ne veut pas être capturé, qu’on ne peut pas le flécher à 100 m et qu’il faut accepter de revenir une autre fois. Des blocages administratifs ensuite, dus à un manque de connaissances. Cela a été le cas en juillet 2019, quand 19 bisons échappés de leur enclos ont été abattus car, selon les autorités, il était impossible de les capturer. Or, j’en ai moi-même capturé 35 en Haute-Marne. Il faut juste beaucoup de monde, des camions, et énormément d’anesthésique… Personnellement, on me reproche souvent de me battre contre les injustices envers les animaux alors qu’on en fait subir tellement aux humains. Selon moi, il n’y a pas de séparation à faire : on est tous dans le même bateau.
Si vous deviez retenir un de vos sauvetages, lequel ce serait ?
L’ours Mischa, évidemment. Il est arrivé chez nous en septembre dernier, dans un état catastrophique, alors qu’il était utilisé dans des spectacles itinérants par ses propriétaires. Nous sommes fiers d’avoir pu lui rendre sa dignité et que, grâce à de simples bons soins et de la bienveillance, il ait pu redevenir un bel ours apaisé, de nouveau capable de marcher. Son décès, le 12 novembre, suite à une détérioration de son état et parce que nous n’avons pas reçu à temps l’autorisation de l’anesthésier, a été extrêmement traumatisant pour toute l’équipe de La Tanière et nous sommes très en colère contre les autorités qui ont tardé à nous laisser lui apporter les soins dont il avait besoin. C’est l’illustration parfaite des blocages administratifs qui freinent notre mission.
Y a-t-il des animaux plus difficiles à soigner que d’autres ?
Bien sûr ! La difficulté réside dans la taille de l’animal et sa dangerosité. Dans le premier cas, c'est avec les animaux les plus petits qu'il faut faire le plus attention. S’ils perdent 3 grammes de sang lors de l’opération, ils sont déjà au bord du collapsus… Les animaux dangereux, eux, impliquent d'avoir souvent recours à l'anesthésie, ce qui n’est pas anodin. L’état de santé ne peut parfois pas le permettre, ou par exemple un mammifère marin anesthésié peut oublier de respirer. C’est pourquoi nous développons de plus en plus le « medical training ». C’est un entraînement très important qui permet de rendre l’animal coopératif lors d’examens de routine.
Y a-t-il des aspects que vous aimeriez voir changer dans votre profession ?
J’aimerais que la formation initiale et continue soit élargie à l’ensemble des espèces qu’un vétérinaire peut rencontrer dans son travail afin d’avoir immédiatement les bons réflexes et de savoir bien orienter ses patients. Aujourd’hui, seuls les stages et les formations parallèles existent pour acquérir un large savoir généraliste. Il faut qu’un module faune sauvage soit créé et que l’on prenne exemple sur d’autres pays d’Europe, et surtout sur les États-Unis. Plus les personnes seront formées, mieux les animaux se porteront. C’est d’ailleurs pour cela que le partage de son expérience et de ses connaissances est très important pour moi.
Source : 30 Millions d'Amis.