Le Bioparc Challandes vole au secours de trois chameaux
On ne les voit pas mais on les sent. Et quand on les sent, ça fait mal au cœur, car on peut les compter: les côtes sur chaque flanc, les cervicales le long du cou. Diagnostic par le toucher. Celui d’un chameau en mauvaise santé. Dénutrition, anémie, dépérissement général. Voilà pour les présentations, en forme de visite vétérinaire, assurée par le Dr Tobias Blaha, directeur du Bioparc Challandes à Bellevue.
On savait le lieu doué pour l’urgence animalière, les adoptions spontanées et les naissances multiples. Mais on était resté à la taille du lémurien bondissant ou, plus familièrement encore, du hérisson en semi-hibernation. Là, il faut changer d’échelle. Sur la partie supérieure du site, dans l’enclos réservé jusqu’à il y a peu aux chevreuils, le chameau accueilli va par trois: deux chamelles et un chamelon.
Squelette sur pattes
Ce dernier se prénomme Batou, il aura un an le 22 février. Sa silhouette fait moins peur que celle de sa mère, Aischada, née en 2001. Elle a tout donné pour son rejeton. Le squelette sur pattes, c’est elle. L’une des deux bosses s’est effondrée sur elle-même. De cette réserve graisseuse si essentielle, il ne reste rien.
C’était vraiment le moment d’intervenir. D’autant que la deuxième chamelle, Antoschka, d’une année plus jeune que sa congénère d’infortune, est gestante. Si tout va bien, elle devrait mettre bas courant février. Le Dr Blaha se veut optimiste. C’est sa nature. Il sait décider vite, renverser les montagnes, quitte à devoir traverser la Suisse en convoi humanitaire, au volant d’un gros van mis à disposition par un proche centre équestre, dans lequel, le 16 janvier au matin, prennent place les trois ruminants.
Cirque en faillite
L’infortune, ici, est d’abord celle d’un cirque, le deuxième du pays – Circus Royal, il s’appelait – basé dans le canton de Thurgovie. Deux faillites consécutives en deux ans. Plus d’argent pour payer les artistes et nourrir les bêtes. Elles sont regroupées sous une tente qui ne résiste pas à l’eau: deux chevaux, trois watusis (ces bovidés aux cornes géantes) et sept chameaux, dont quatre mâles, qui seront récupérés ailleurs en Suisse alémanique.
« Nous avons monté cette opération de sauvetage en un temps record, explique le Dr Blaha. Grâce à une collaboration efficace avec la Kamel-Kompetenzzentrum, la seule association de protection des chameaux existant dans notre pays, mais aussi avec l’appui du vétérinaire cantonal de Berne. En quelques jours à peine, nous avions réuni les documents administratifs permettant d’assurer le transfert sanitaire vers Genève, afin de prodiguer les soins nécessaires dans des locaux adaptés. »
Pierre à sel et foin
Adaptés, ils le sont. De l’espace et un couvert flambant neuf. Litière au sec, pierre à sel, granulés et foin. Régime soigné, mais sans précipitation. Cette échine qui pique de la bosse va reprendre du volume. L’adolescent Batou donne l’exemple. Il est chez lui dans ce sleep-in à ciel ouvert; il se mêle à l’interview en jouant avec l’amplitude de son cou.
Le personnel est prévenu. La placidité du chameau peut cacher des comportements indociles. Sa remise d’aplomb passe aussi par une phase éducative et le respect de la distance de sécurité. Deux bonnes heures de travail matinal pour les deux soignantes, Chloe et Marine. « Au début, c’était assez impressionnant, reconnaît cette dernière. On apprend beaucoup. De Tobias qui nous sert de coach, de cette fréquentation quotidienne qui oblige à être ferme dans la voix et clair dans le geste. »
Missions futures
Si tout se déroule bien, les chamelles et leurs petits se verront après-demain associées aux futures missions du parc. « Nous sommes en effet en train d’élaborer un projet pilote avec des enfants qui ont des difficultés variées, commente Anne-Sophie Deville, l’adjointe de direction. On parle ici d’intervention assistée par l’animal, celui-ci fonctionnant à la manière d’un médiateur entre le thérapeute et l’enfant. Dans ce but, nous avions d’ailleurs planifié d’acquérir des chameaux, mais en bonne santé », précise-t-elle.
Le challenge aujourd’hui est double: sauver la vie animale pour la mettre au service de la nôtre, quand la maladie s’en mêle. Un sacré défi. Il résume bien l’engagement sans faille du désormais Bioparc Genève.