Une primatologue coincée en France pour cause de minimum vie

[Philippe]

Pas d'accord avec toi sur ce coup là.
Bien sûr qu'un journaliste peut toujours se faire abuser par une vieille dame en appelant aux bons sentiments mais cet article que tu évoques émane quand même du service spécialisé d'un quotidien national, doté d'un secrétariat de rédaction...
Le lecteur me semble en droit d'attendre un minimum de vérifications, d'autant qu'il ne s'agit pas ici d'un papier rédigé à la hâte entre une inauguration de crèche, la tournée des faits divers et le conseil municipal comme c'est souvent le cas dans la presse quotidienne régionale où, par ailleurs, les secrétaires de rédaction veillant au grain deviennent rares...
Causette n'a pas mobilisé une armée de vérificateurs pour contacter d'autres primatologues ou chercher la trace des onze livres... Le magazine a juste été un peu plus circonspect et a voulu "en savoir un peu plus". Une belle leçon de journalisme. Voilà tout.

[Philippe]

L'article de La Croix parlait quand même d'"une primatologue, dont les travaux sur les grands singes n’ont rien à envier à ceux d’une Dian Fossey et d’une Jane ­Goodall" ...
Allez, on ne va pas s'appesantir sur le sujet.
Sinon, j'ai bien aimé l'expo sur les grands singes présentée au sous-sol de la Grande galerie de l'évolution...

[okapi]

Ben justement, la journaliste de La Croix, elle a vérifié auprès de Norin Chai qui lui a tout bien confirmé... Là, pour le coup, c'est la "source" scientifique qui a été défaillante. Un tel sujet ne justifiait pas de recouper l'info et on peut tout de même s'attendre à ce qu'un spécialiste du Muséum, impliqué dans la mission de sauvegarde de la pauvre dame soit averti, non?
Mais c'est pas bien grave! 30 000€ en quelques jours, ça montre un bel élan de solidarité!

[Philippe]

J'ai relu l'article et rien ne prouve que c'est la "source" scientifique qui a été jusqu'à faire de cette vieille dame l'égale de Dian Fossey et Jane ­Goodall...

Un tel sujet ne justifiait pas de recouper l'info.

Cela aurait pourtant été utile, la preuve ! Il est vrai que cela ne semblait pas a priori nécessaire, que ce n'est pas bien grave mais n'empêche. Causette a pris le temps et le soin de le faire et a donné une belle leçon de journalisme. Du bel ouvrage. Chapeau bas à sa rédaction.

[okapi]

Causette souhaitait faire un portrait fouillé de la dame et c'est face aux incohérences du discours que le lièvre a été soulevé: les autres n'envisageaient sûrement pas d'aller aussi loin et une vérification rapide auprès du Muséum a fait l'affaire. D'ailleurs, c'est bien parce que la journaliste de La Croix a aussi eu un doute qu'elle s'est tournée vers Norin Chai! Pour les autres, c'est un petit wagon de l'info au kilomètre qui a déraillé...

[Philippe]

L'article de La Croix se voulait aussi une enquête fouillée. Avec même une rencontre et une interview de la vieille dame. Pas vraiment une brève...
Et en cas de doute, pourquoi ériger l'intéressée au rang des deux plus célèbres primatologues mondiales ? Encore une fois, je doute que la "source scientifique" ait prétendu cela. En tout état de cause, cette affirmation n'apparaît pas dans l'article comme une citation ou un propos rapporté - dans ce cas-là, rien à redire - mais bel et bien comme une vérité établie, connue, reconnue et admise. Sauf que... et patatras. Comme quoi, en la matière, un travail indéniablement sérieux peut déboucher sur un article complètement faux. Un beau cas d'école pour école de journalisme.

[okapi]

On tourne en rond là: La Croix fait l'interview, valide ses infos auprès de spécialistes: dixit Norin Chai « Elle est hors du système, elle n'a pas suivi le parcours scientifique classique [...] Et pourtant, la valeur de ses découvertes est incontestable », et publie l'article. Sur ce coup là, et spécifiquement celui-là, la journaliste n'a pas trébuché. Trois sources qui confirment: quel journaliste va en interroger davantage?

[Philippe]

Entre citer une source et extrapoler en affirmant que cette inconnue est une figure de la primatologie aussi importante que Jane Goodall et Dian Fossey, il y a une fossé plus large que celui de nos chères îles à orangs-outans. Là, la journaliste s'est bien pris les pieds dans le clavier malgré son travail de terrain préalable qui, lui, n'appelle pas la critique.

Après, la presse nationale et spécialisée s'est plantée dans son ensemble et, pour moi, cela devrait aussi inciter à revaloriser le travail des journalistes de la presse locale, plus isolés et travaillant dans des conditions souvent plus difficiles... Simple point de vue.

Plus largement, cette "affaire" me paraît intéressante parce que révélatrice d'un état d'esprit général : personne n'ose plus dire qu'il ne sait pas ! Des "sources" présentant cette dame comme une spécialiste reconnue aux journalistes laissant croire à leurs lecteurs que les gens cultivés connaissent bien les travaux de Francine Néago et son apport à la science.

Allez, je vais écouter un peu la belle chanson de Dabadie interprétée par Gabin, .

[okapi]

Bon, c'est sûr, c'est un bon cas d'école! Mais rien ne dit, et mon petit doigt le soupçonne, que l'un ou l'autre des spécialistes interrogés n'ai pas, lui, extrapolé... Les noms mentionnés sont connus des initiés, mais je ne suis pas certain qu'une journaliste dont ce n'est pas le thème d'intérêt principal associe spontanément trois noms de primatologues avec autant d'évidence... Jusqu'où la fierté d'être interviewé, le désir de briller, peut-elle conduire à affirmer quelques vérités pour le moins floues...

[Philippe]

J'ose espérer que Jane Goodall et Dian Fossey sont connues de journalistes plus ou moins spécialisés, des secrétaires de rédaction chargés de la relecture (lesquels deviennent malheureusement de plus en plus rares aujourd'hui dans la presse), voire de la rédaction en chef qui signe les "bons à tirer" tout de même, ... Au-delà des initiés, ces femmes remarquables sont devenues des "icônes". Et évidemment, cela ne concerne pas seulement La Croix.
Après, on peut toujours supputer sur les propos des uns et des autres. Mais dès lors qu'il ne s'agit plus d'une citation...
Une chose est sûre : c'est vraiment un cas d'école à étudier dans les écoles de journalisme car c'est le type de piège dans lequel n'importe quel(le) titulaire d'une carte de presse peut tomber.

[okapi]

C'est Dian Fossey ou Sigourney Weaver qu'elle s'appelle? Sérieux? Tu crois vraiment que les noms de ces deux femmes sont connus à ce point? Et associés à des animaux et des travaux précis? J'aime ton optimisme effréné...

[Philippe]

J'osais en effet espérer que ces noms soient connus des plumes signant dans la "grande presse"... Mais là, tu instilles le poison du doute dans mon optimisme effréné, .

[abel]

Tout a été dit, on peut féliciter la journaliste de Causette d'avoir vérifier cette histoire, ça devrait être logique pour un journaliste, mais malheureusement ce n'est pas toujours le cas...
Ces 30 000 euros auraient pu servir à un vrai projet de conservation, quel gâchis...

[Vinch]

Cité à différentes reprises dans l'article de Causette, le dcoteur Norin Chai a tenu à s'expliquer. Voici ce qu'il a publié hier sur son mur facebook:

Bonjour, pour ceux qui ont suivi l'affaire Francine Néago et surtout qui attendent une réponse à l'article du journal Causette… Voici donc la réponse que j'ai posté sur leur site… je pense qu'il y aura également au moins un article de réponse dans un grand journal...

Hier, Mme Francine Néago m’a contacté pour me demander de l’excuser pour tous les tracas qu’elle m’avait indirectement causés… Quel tracas ? Parlait-elle du petit article de Causette ? Je l’ai rassuré. Je n’étais en aucun cas tracassé, le moins du monde. Cela m’a cependant motivé à répondre à cet article, d’autant plus qu’il me cite personnellement à plusieurs reprises.
Aussi, reviendrai-je sur des points qui me semblent importants.
L’absence de preuve du passage de Francine Néago à UCLA, n’est absolument pas surprenante. Lorsque je prends pour exemple le Muséum qui héberge un personnel d’environ 2 000 membres, il faut parfois des jours pour trouver d’anciennes archives. Par ailleurs, les externes qui émettent des demandes doivent souvent se déplacer in situ pour trouver les informations qu’ils cherchent. Il est très difficile de trouver trace d’un stagiaire, post doctorant, ou conférencier passé dans l’établissement. Il s’agit de parler à la bonne personne, encore faut-il que cette personne soit encore en fonction. Il y a deux ans, nous avons hébergé pendant plusieurs mois, sous forme de collaboration, un écrivain à la Ménagerie… Vingt ans après, je me demande comment une personne extérieure pourrait prouver cette présence, les documents n’ont pas été informatisés. J’ai d’ailleurs moi-même oublié son nom ! Cette difficulté d’information se retrouve également dans des institutions comme le CNRS… Autre exemple, il y a 20 ans, je prétends avoir dirigé un Parc national au Tchad, avoir été précurseur de la notion de développement durable avec mon projet, avoir créé des micros circuits économiques avec l’apiculture ou le commerce de fruits séchés. J’ai même mis en place la création dans les villages de fours solaires permettant d’accélérer le séchage des fruits… Cependant, vous ne trouverez aucune preuve de mes travaux. Bien sûr, vous trouverez trace de mon passage au Tchad par le ministère des affaires étrangères mais sans véritable enquête de terrain, il est impossible de vérifier la véracité de mes dires. L’investigation sera rendue d’autant plus difficile qu’après mon passage, il y a eu une guerre civile. Mon successeur s’est fait kidnapper et le collègue et ami tchadien avec qui j’ai monté tous ces projets est décédé. Aucune preuve… me soupçonnerez-vous alors, moi aussi, de fabuler ?
Si nous avons autant de mal à trouver des traces au Muséum ou des structures comme le CNRS, comment voulez-vous trouver la trace d’un passage, voici plus de 30 ans, d’une personne externe dans une méga structure de plus de 40 000 personnes (en ne comptant que les inscrits) comme UCLA? D’autant plus que Francine n’a jamais prétendu travailler à UCLA mais collaborer en tant que lecturer (équivalent de conférencier) ce qui rend sa traque encore plus difficile. Le département auquel elle collaborait était celui de médecine, et non l’un des « nouveaux » départements qui existent actuellement. L’informatisation était sans comparaison avec celle d’aujourd’hui. Et malheureusement, le professeur Michael Mc Guire avec qui elle a travaillé est décédé… L’article de Causette montre une grande méconnaissance du fonctionnement des grandes institutions universitaires et scientifiques… Mais malheureusement pour la journaliste, j’ai en ma possession une lettre de recommandation de ce fameux professeur Michael Mc Guire datant de 1998, lettre retrouvée au terme d’un véritable travail journalistique ! Cette lettre prouve la présence de Francine Néago à UCLA. L’équipe qui a trouvé cette lettre a également retrouvé un programme de la NBC mentionnant Francine Néago et son orang outan dans un show télévisé ! Donc oui, Francine était assez bien médiatisée à une certaine époque aux États-Unis pour être invitée à passer sur une chaine nationale de la télévision américaine !
Cela étant, sa présence ou non à UCLA est pour moi secondaire, par rapport à ce qui suit.
De la fiabilité des sources
Oui, le déficit de notoriété de Francine s’explique par son cursus hors système. Et je maintiens mon affirmation concernant la valeur incontestable de ses découvertes. Mon expérience, la source de certitudes la plus forte pour les chercheurs de terrain, appuie cette affirmation. Je rencontre au cours de mes voyages beaucoup de personnages qui n’ont jamais publié, qui n’ont pour certains aucun cursus académique… Mais lorsque je parle avec eux, transpire non seulement l’engagement mais surtout l’expérience. Lorsqu’un vétérinaire de campagne, inconnu de tous, me parle de sa pose chirurgicale d’une prothèse sur un oiseau, il aura beau ne pas être un « vétérinaire faune sauvage », ou appartenir à une grande institution, je reconnais avec respect son expérience. Lorsque Francine me parle de ses travaux avec les orangs outans, elle ne peut pas me mentir. Cela, il sera difficile à un journaliste de le vérifier. Il m’importe peu de savoir si Francine est dûment enregistrée, homologuée. Moi-même, je suis loin de connaître tous les grands vétérinaires faune sauvage et je suis sûr que j’ai tout à apprendre d’illustres « inconnus ». Je ne fais plus attention aux dires, aux CV, aux carrières apparentes. Dans mes projets de terrain, je recherche de l’expérience non une liste de publications. Le monde de la recherche est complexe et n’est pas aussi « rigoureux » qu’on pourrait le croire. Je crois même qu’il peut pousser à la perversion : combien d’éminents chercheurs ont été poursuivis pour falsifications de données, combien pour des travaux volés ? La course à la publication pour accéder à des bourses et des subventions peut faire basculer des équipes de recherche du côté obscur ! Ce débat va au-delà de notre sujet. Mais ne pas le soulever démontre la naïveté de l’article de Causette. Il y a quelque temps, j’avais dit à Francine Néago que si par miracle elle arrivait à créer son école d’éthologie, je serai son premier élève !
Pour les autres points de détails, un travail d’investigation démontre le manque de rigueur de l’article. Ces éléments seront transmis aux journalistes cités. La suite ne me regarde pas et m’importe peu.
Causette a voulu faire œuvre utile en dénonçant les emballements médiatiques. Et il est vrai qu’un emballement médiatique s’est produit autour de Francine Néago. Il fallait alors s’attaquer aux causes de ces poussées de fièvre des médias, sans pour autant considérer une absence de preuve comme une preuve a contrario. Dans cette démarche peu scientifique, Causette a fait de Francine Néago la victime collatérale de son propre emballement.
A toutes fins utiles, et pour information, je n’ai aucun lien avec l’association SOS-Mawas qui s’est constituée autour de Francine Néago, ni ne cautionne son fonctionnement.
Norin Chai

[Vinch]

Et la réponse de l'association SOS -MAWAS:

Retracer le parcours de Francine Neago, une passionnée de 86 ans

Initiée autour de la personne de Francine Neago et de son engagement en faveur de la protection de la forêt primaire et des grands singes qu’elle abrite, l’action de SOS-MAWAS, créée le 23 Février 2016, s’est très vite orientée dans deux directions simultanées:
- d’une part, organiser l’aide à Francine Neago, qui s’est trouvée dans une situation particulièrement précaire après son retour en France
- d’autre part, mettre en oeuvre une action cohérente avec les idéaux de cette personnalité, dans le but de soutenir et contribuer à son action et à son travail scientifique et, plus généralement, promouvoir l’étude et la préservation de l’environnement et de la faune sauvage en Asie du Sud-Est.

La figure de Francine Neago a été particulièrement médiatisée, de même que notre action.
Aujourd’hui, SOS-MAWAS est à un tournant.
Nous devons mener à bien une action constructive, à la hauteur de l’engagement de nos donateurs et de nos bénévoles.
Cela implique de trouver sur le terrain des moyens concrets de réalisation; et cela suppose aussi de nous assurer de la faisabilité de ces projets, eu égard à l’âge et à la situation de santé de Madame Neago, personne aujourd’hui vulnérable et dont les récits, passionnants et passionnés, sont parfois imprécis et doivent être restitués.

Nous avons dû nous faire enquêteurs: nous avons d’ores et déjà accumulé toutes sortes de documents nécessaires à la clarification de l’action passée et des références de Madame Neago, et pouvons d’ores et déjà attester que:
- Francine Neago a bien vécu en Californie avec un orang-outan prénommé Bulan avec lequel elle a mené un projet sur le langage (photo, droits réservés circa 1978).
- Elle a également collaboré à UCLA, ainsi que le dit une lettre du Professeur Michael T. McGuire, lettre connue de tous les acteurs au 9 Février, déposée chez un avocat le 11 Février et dont SOS-MAWAS a enfin reçu attestation et détails le 1 Avril 2016.
- Un programme de la NBC annonce le passage de Francine Neago et Bulan dans une émission de divertissement. Ce document, PDF annoté électroniquement, a été transmis par Vincent Dattée, président de SOS-MAWAS, à un journaliste le 31 Mars 2016.
- Francine Neago a bien été présente au zoo de Singapour dans les années 1972/73. Nous pouvons attester de son contact, dans de grandes cages, avec un groupe d’environ 18 jeunes orangs-outans.
- Nous disposons de témoignages sur le parcours de Francine Neago au Costa Rica entre 1990-1994 et à Bali dans les années 2000, ainsi que de plusieurs vétérinaires en Europe et en Asie qui ont travaillé avec elle.

Qu’il soit dit en passant que certaines de ces pièces, mentionnées dans un récent communiqué de Monsieur Norin Chai ont pu être mises au jour par le travail de SOS-MAWAS à l’exclusion de tout autre personne.

Nous poursuivons ce travail de vérification afin de nous projeter dans tout moyen effectif de prolonger l'action de conservation de Francine Neago à Sumatra ou ailleurs.

Collectif de bénévoles engagés dans une cause écologique cruciale, SOS-MAWAS accueille toute initiative et tout soutien permettant de réaliser sa mission.

La complexité de la tâche, loin de nous faire reculer, nous renforce dans cette volonté.