Fallou Gueye, créateur du reptilarium de Hann, à Dakar
Fallou Gueye, 57 ans, est un homme patient et passionné. Patient, car il lui aura fallu 11 ans pour obtenir l’autorisation d’ouvrir un reptilarium au sein du parc forestier de Hann, à Dakar. « Je ne me suis jamais découragé, explique avec le sourire Fallou. Je savais que j’allais gagner un jour. ».Et passionné car Fallou pourrait parler durant des heures des serpents et de son amour pour les reptiles !
Né au Diourbel, dans le centre du Sénégal, Fallou s’intéresse très vite aux animaux, et plus particulièrement aux serpents. « J’aimais me promener en forêt autour de chez moi » se souvient-il. Enfant, il a également un rêve : aller en Italie. Dès qu’il le pourra, il partira à Rome où des amis l’accueillent. « Au Sénégal, l’étude des serpents est très limitée et de façon générale, les Sénégalais s’en méfient beaucoup. J’avais envie d’apprendre des choses sur eux et je savais qu’en Italie, je pouvais le faire » explique-t-il.
Il fait la rencontre du professeur Ignazio Mongio, qui s’occupe du reptilarium du zoo de Rome. « C’est devenu un ami, il m’a beaucoup formé et transmis son expérience à la fois théorique et pratique des serpents. » Il constate que le reptilarium de Rome a du succès. « Les gens faisaient la queue pour le visiter et étaient contents de découvrir les serpents. Cela m’a donné envie d’en ouvrir un à Dakar. »
En 2015 donc, il obtient l’autorisation d’en ouvrir un dans l’enceinte du Parc de Hann, près du zoo, grâce au soutien notamment du Colonel Baïdy Ba, directeur des Eaux et Forêts de l’époque. C’est le premier reptilarium d’Afrique de l’Ouest. « Je suis revenu d’Italie pour le lancer, grâce à mes économies. Un serpent n’a pas besoin de beaucoup d’espace, et il est facile de lui recréer son environnement naturel ", estime-t-il. Mais cela nécessite beaucoup de présence, de surveillance, d’entretien et de soin. " J’ai du mal à trouver du personnel car les Sénégalais ont peur des serpents, donc je travaille avec mon frère et mes enfants ", indique Fallou.
Des visites pédagogiques sont organisées les samedis et dimanches de 10h à 19h. « J’aime profondément mon métier, j’y consacre toutes mes journées, du mardi au dimanche. Le lundi, après les visites, les serpents ont besoin de calme et de se reposer, comme moi », poursuit-il, toujours avec un grand sourire.
Aujourd’hui, le reptilarium possède notamment 50 serpents, (un serpent peut vivre jusqu'à 40 ans), 3 scorpions, 30 crocodiles, mais aussi des varans et des tortues. Les serpents se nourrissent de souris, de rats, mais aussi de poulet. A Hann, on peut voir différentes espèces, venimeuses ou non : le python de Seba, le cobra cracheur à cou noir, la vipère Echis leucogaster, le Boaedon fuliginosus, la vipère Bitis arietans, un atractaspis très venimeux, des couleuvres, le Psammophis sibilans ou elegans encore le python royakl. « Les plus petits sont souvent les plus dangereux, souligne Fallou, car lorsqu’ils sont jeunes, le venin est très concentré. »
« Mon objectif est d’aider les personnes à identifier les serpents et leur expliquer comment se comporter avec eux. En général, quand on voit un serpent, on le tue. Mais j’explique aux gens que les serpents ont un rôle dans l’écosystème. Ils ne suivent pas l’homme et ne le ne mordent que si celui-ci leur marche dessus, par réaction », explique Fallou.
« Il existe 2.700 espèces de serpents dans le monde, dont seulement 300 sont venimeuses, poursuit le spécialiste. Au Sénégal, on a 63 espèces (une étude a été menée par l’IRD), dont 18 dangereuses, voire très dangereuses. » Les serpents sont présents dans la plupart des régions du Sénégal, en particulier pendant la saison des pluies. A Dakar, on peut trouver des serpents aux Mamelles, près du Monument de la Renaissance ou de l'ancien aéroport, à Ngor et aux Almadies.
« Une erreur courante circule concernant les morsures de serpents. La première chose à faire est de bien nettoyer la plaie et de regarder le nombre de trous. S’il y a 2 crochets, cela signifie qu’il y a du venin, mais s'il y a 4 ou 6 trous, cela signifie qu'il n'y a pas de venin. Peu de monde le sait, même dans les hôpitaux. Résultat : des anti-venins sont parfois injectés, alors que cela est dangereux pour l’homme s'il s'agit d'une morsure sans venin. " Selon une étude réalisée en 2005 par Jean-Philippe Chippaux, ancien directeur de recherche à l'IRD de Dakar, le nombre de morsures survenant au Sénégal était compris entre 7.000 et 8.000, entraînant entre 150 à 200 décès par an.
« J’invite les Sénégalais à visiter le site pour savoir mieux identifier les serpents et les morsures. Et notamment le Ministre de l’Agriculture et celui de la Santé pour qu’ils puissent ensuite mener des campagnes de sensibilisation. Ce sont les cultivateurs qui subissent 75% des morsures recensées. Par exemple, il faudrait qu'ils ne prennent pas à mains nues les plants d’arachides car les serpents peuvent s’y cacher, attirés par les souris. Par ailleurs, c'est important que le personnel de santé puisse bien différencier les morsures venimeuses des autres. "
« Il ne faut pas hésiter à m’appeler si vous voyez un serpent, plutôt que de tenter de le tuer et de prendre des risques inutiles. Je les capture avec des pinces ramenés d’Europe, pour les sauver et éviter les accidents ", explique Fallou. Si une école l’appelle, l’intervention est gratuite, si c’est un particulier, il fait payer le déplacement et l’intervention, cela lui permet d’entretenir et de nourrir ses reptiles. « Durant la saison des pluies, je peux être appelé jusqu’à 4 fois par mois, moins en saison sèche ", précise l'herpétologue .
« J’aimerais bien obtenir l’autorisation de commercialiser le venin de nos serpents. Cela vaut très cher : des toxines de scorpion peuvent être utilisées pour localiser les cellules cancéreuses, traiter les polyarthrites rhumatoïdes ou les scléroses en plaques et le venin du serpent sert à fabriquer l’antidote et est utilisé en pharmaceutique. J’aimerais que l’Institut Pasteur de Dakar se rapproche de moi. Cela pourrait créer des emplois et des revenus pour l’Etat et pour le reptilarium ", analyse Fallou.
A l’heure actuelle, l’accès aux antivenins reste un problème majeur en Afrique, pour des raisons à la fois de coût, de distribution et de fabrication. Au Sénégal, un anti-venin coûte environ 100.000 fcfa (l’Etat en subventionne 50.000).
Fallou Gueye pose devant l'enclos des crocodiles, au sein du reptilarium qu'il a créé en 2015.
Source : Le Petit Journal.