La protection de la nature est une activité à haut risque dans l'est de la République démocratique du Congo. En moins de vingt ans, plus de 140 gardes du parc des Virunga, réputé pour abriter le quart des derniers gorilles de montagne, y ont été tués.
Leur patron, Emmanuel de Mérode, a eu plus de chance. Victime d'une embuscade mardi 15 avril, le conservateur du plus ancien parc national d'Afrique a été grièvement blessé alors qu'il venait de quitter la capitale du Nord-Kivu. « L'attaque s'est produite aux environs de 17 heures à une trentaine de kilomètres au nord de Goma. M. de Mérode, qui était au volant de son véhicule, a été touché de trois balles tirées par des assaillants non identifiés », raconte l'un des porte-parole de l'armée congolaise, le lieutenant-colonel Olivier Amuli.
Une source proche de M. de Mérode relate que les tireurs étaient vêtus de treillis militaires, ce qui ne suffit pas pour désigner des suspects, tant les groupes armés pullulent dans la zone.
« Son état est stable. Il est hors de danger et commence à parler. Quand la plaie sera cicatrisée, il devrait être transféré en Belgique », assurait jeudi après-midi Norbert Mushenzi, le directeur adjoint de ce parc classé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1979. Une plainte pour tentative d'assassinat a été déposée mardi à Kinshasa par l'Institut congolais pour la conservation de la nature, l'entreprise publique dont Emmanuel de Mérode est le directeur provincial.
Coïncidence troublante
Personnalité appréciée localement pour son engagement auprès des populations vivant à l'intérieur de ce site de 800 000 hectares le long des frontières ougandaise et rwandaise, ce Belge d'ascendance aristocratique s'est fait de nombreux ennemis depuis sa nomination à la tête des Virunga en 2008. Une source régionale impliquée dans la conservation de l'environnement évoque trois pistes dans cette tentative d'assassinat.
Celle de braconniers, qui voient leurs activités entravées par les quelque 400 gardes du parc, une véritable petite armée entraînée et équipée qui a payé au prix fort son engagement pour la défense de l'environnement. Celle de groupes armés opérant à l'intérieur du parc, principalement les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui se livrent au commerce du charbon de bois et se retrouvent régulièrement confrontés aux « rangers » des Virunga. Et enfin, celle du groupe pétrolier britannique Soco International, qui a obtenu en 2011 de Kinshasa un permis d'exploration « à des fins scientifiques », un motif qui lui permet de déroger à l'interdiction de pénétrer dans une aire protégée.
« Coïncidence extrêmement troublante, M. de Mérode venait de déposer auprès du procureur de la République de Goma un dossier compromettant, résultant de mois – voire d'années – d'enquête sur Soco International, » a déclaré le député belge François-Xavier de Donnea au quotidien La Libre Belgique. M. de Mérode avait en effet rendu le jour de son agression un dossier de dix pages, « consécutif à une réquisition d'information » de la justice congolaise. Une source proche de l'enquête explique que ce document revient sur « les menaces de mort et l'arrestation arbitraire dont a été victime en 2013 Rodrigue Mugaruka, l'un des chefs des gardes du parc, après son opposition à l'installation d'une antenne par la société Soco à l'intérieur des Virunga ».
Face aux protestations des défenseurs de l'environnement, Total et l'italien ENI, également détenteurs de concessions, ont renoncé à prospecter à l'intérieur du parc. Soco, qui a été visé en octobre 2013 par une plainte du Fonds mondial pour la nature (WWF) déposée devant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), promet de son côté qu'elle ne mènera aucune activité dans les zones habitées par les gorilles de montagne.
Sur son site Internet, la société britannique a publié, mercredi 16 avril, un communiqué condamnant l'attaque dont a été victime Emmanuel de Mérode, précisant qu'elle « ne cautionne aucun type de violence » et que « toute suggestion liant Soco à ce crime est totalement infondée, diffamatoire et hautement déplacée ».
Source : Le Monde.